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Minuit au large des îles rhyliénites

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Minuit au large des îles rhyliénites Empty Minuit au large des îles rhyliénites

Message  Djaya Mer 6 Mai - 2:04


Désolée pour ce gros machin, mais Deezer refuse du service...

Dans le cauchemar le vieux m'écartait les jambes.
Comme d'habitude.
Et je voyais ses yeux couleur de porcelaine fanée, bleu délavé, le blanc un peu jauni, et l'ignoble émotion qui lui embrumait le regard, et sa voix qui bégayait, "ma petite, ma petite, n'aie pas peur ma petite..." et sa peau molle et ses poils blancs et le dégoût et le désarroi, pas vous, je croyais que vous m'aimiez bien, je croyais que vous étiez un gentil grand-père qui me souriait quand j'étais mal, et vous voilà, comme eux, à me ramper dessus dans la lueur de la veilleuse, j'aurais jamais cru, jamais cru, et le grand couteau que je tirais d'entre le matelas et le sommier.
Dans le cauchemar, je pleurais, et dans le souvenir aussi. J'avais pleuré.
Puis je lui avais plongé le couteau dans les reins.

Dans le cauchemar, souvent, il se cabrait comme dans le souvenir, et là, les fins variaient, soit ça ne lui faisait rien et il retirait le couteau en rigolant et me le plantait dans le sternum, soit le sang lui jaillissait de partout et il s'effondrait sur moi, lourd comme un cadavre de géant, et je mourais noyée, étouffée, ou de peur, tout simplement. Parfois il continuait comme si de rien n'était, et je me rendais compte que malgré mes coups redoublés, il allait prendre de moi le même plaisir que les autres, et puis je regardais la lame et découvrais une langue de caoutchouc, un jouet d'enfant ou un truc qui n'avait rien à voir, tout sauf le couteau, en fait.

Cette nuit j'ai eu droit à une nouvelle fin...
Le vieux, le couteau, comme d'habitude...
Sauf que cette fois au moment de frapper je voyais ses yeux et ils étaient noirs comme le fond d'un puits. Et ils me fixaient comme s'ils savaient ce que j'allais faire. Et je frappais quand même, mais je le sentais que ma main hésitait, que je ne savais pas. Et quand le couteau entrait dans son dos, ce n'était plus un dos de vieux, une chair de vieux, plus rien du grand-père au sourire doux et gentil, c'était un corps jeune, massif, fort, trop fort, et le regard aussi, trop fort, qui me clouait sur place, et le corps aussi me clouait sur place, les yeux comme un défi, un sarcasme, et il riait d'un rire horrible, invulnérable aux coups, mais pas moi, moi je sentais ses coups, et son rire qui me crevait la peau, et dans le rêve son visage figé en un sourire dément plongeait contre ma gorge, et ses dents me déchiraient à leur tour, et j'avais mal, mais ce n'était rien à côté de la souffrance dans mon ventre, ce n'était rien à côté de la souffrance dans mon coeur à savoir que j'avais hésité, et que j'aurais réussi sans ça, que c'était ma faute, ma faute, et je mourrais dans le rêve, pendant que l'homme qui n'était plus vieux dansait dans mon ventre et déchirait ma gorge en se riant de moi...

J'ai failli tomber de la couchette étroite, les jambes emmêlées dans les draps.
Trempée de mauvaise sueur, les yeux grands ouverts sur la nuit, le coeur affollé, je tremble, je halète, je me demande si je dois appeler à l'aide, je suis mal, mal, cette nausée qui me vient à la gorge, ces gémissements sourds qui m'échappent sur l'expiration, je vais mal, trop mal...
Mais si j'appelais, quelqu'un viendrait.
Quelqu'un verrait. Poserait des questions. Quelqu'un me toucherait, peut-être, pour voir si j'ai la fièvre.
Je n'ai pas la fièvre, je le sais.
Ou alors j'ai la fièvre depuis dix ans...

Je me désentortille des draps, difficilement, saletés, ils m'aggrippent comme des griffes de mendiants...
Enfin debout dans la minuscule cabine, les mollets contre la couchette et le nez contre la porte ou presque, je repousse mes cheveux collés de sueur, j'essaie de me calmer, de me détendre... Respirer, lentement... Respirer. Respirer dehors. L'air de la cabine est chargé d'angoisse et de peur... Il me faut l'air du pont. La mer.
Je pousse la porte de la cabine, m'avance pieds nus, en silence, dans les ténèbres de sous le pont. Une lanterne sourde au fond de l'espace montre quelques hamacs et le corps des dormeurs, dessine l'échelle qui mène en haut, à l'air libre. Sans attendre je grimpe, l'air d'ici n'est pas encore assez libre...

Le pont, enfin, et le ciel d'étoiles, immense...
Je me sens immédiatement mieux.
Sans bruit, je vais m'appuyer au bordage poli, dans mon coin favori, et cette nuit la lune l'éclaire en plein, immense, presque pleine... Je lève mon visage en sueur, les yeux fermés. Je goûte l'air marin, libre, la lumière nocturne qui n'est qu'à moi, je vois le rivage à peu de distance, ce rivage sauvage où nous avons jeté l'ancre, un de ces voyages brefs le long de la côte où il nous emmêne pour nous former, pour nous souder aussi, pour nous tester, je crois...
Mais je veux oublier que je ne suis pas seule ici...

Quelqu'un veille sûrement, je ne sais pas qui, je m'en fous...
Je ne ferai que très peu de bruits...
J'enjambe la rambarde, trouve l'échelle du bout du pied, me laisse glisser dans l'eau, sans à-coups...
Elle est tiède...
La nuit quand l'air est plus frais, l'eau paraît chaude à côté...
Et la mer est si douce cette nuit... Lisse comme un miroir, noire comme un velours, parfaitement calme... Elle me lavera de cette sueur mauvaise qui me baigne le corps... remplacera le sel de l'angoisse par son sel à elle, sain, propre, elle me lavera... Mes vêtements ne me gêneront pas, ils sont légers et amples, ce vieux pantalon à coulisse et ce truc sans manche en lin, tellement usé que je ne le sens plus... La mer me gagnera à travers eux, et ils sont trop minces pour me tirer vers le fond...

Longtemps je nage, sous l'eau, sur l'eau, à longs mouvements souples, sans bruits ni éclaboussures, plongeant sous la jonque pour chercher l'obscurité dans cette mer traversée de lune, flottant non loin de la surface à regarder les reflets jouer dans les vaguelettes, par en-dessous, laissant l'eau me vider, m'apaiser... me rendre à moi-même... enlever ce qui suinte à mes yeux... je n'ai plus peur au creux de l'eau, je suis libre de choisir, revenir ou pas à la surface, maitresse de ma vie, de chaque mouvement de mon corps, seule, putain ce qu'on est bien quand aucun oeil ne vous juge... quand aucun oeil ne vous suit... quand aucun oeil qu'on cherche ne se révèle absent ou tourné ailleurs... arrête.

La pression dans ma poitrine...
Je me laisse flotter au flanc de la jonque.
Une main levée pour caresser sa coque de bois...
Je sais que je pleure, mais on s'en fout.
Je sais que je suis dans la merde, oui. Mais je suis seule à le savoir. Et je trouverai un moyen de m'en sortir, oui, je trouverai.
Partir, j'y arriverai jamais, mais je trouverai autre chose, oui, tôt ou tard.
Le tout, c'est tenir jusque là.
Tenir, tenir bon.

Si seulement je pouvais fuir...

Brusque mouvement des reins, je me retourne dans l'eau, plonge, loin, jusqu'à ce que ça me fasse mal aux oreilles, mais dans la gorge, les poumons, une punition que je m'inflige, fuir, petite conne, mais vas-y, personne ne te retient, fuis, qu'est-ce que tu attends, c'est ça ouais, tu sais que tu n'y arriverais pas, que ça ferait trop mal, que t'es coincée, alors arrête de t'aveugler, imbécile, il est trop tard, ouvre les yeux.
J'ouvre les yeux dans l'eau, il fait noir, noir partout, et un instant j'ai peur, je ne sais plus où est le haut, le bas, la surface, et les poumons me brûlent, et je me laisse flotter, je cherche, yeux écarquillés, je fonce, au hasard ou presque, à l'instinct, et je vois les reflets de la lune et la masse noire de la jonque, et j'émerge, tout juste, tout juste, mains plaquées et front pressé sur le bois, respirant à fond, bouche ouverte...

Putain Djaya tu pètes les plombs ma fille...
Reprends-toi...
C'est possible de se foutre dans des états pareils pour un cauchemar ?
Remonte, tu trembles de partout, tu as froid et tu t'es foutu la trouille comme une imbécile.
Ca suffit.

J'empoigne la planche de l'échelle et commence à grimper.

Djaya

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Message  Six Sam 9 Mai - 15:34

Je suis de quart, au gouvernail, les regard flottant sur le pont sombre devant moi, guidant la jonque avec l'aide de la lune et des étoiles quand je la vois apparaitre des cabines, silhouette menue et blafarde.
Je me redresse, vaguement curieux.
Djaya.
D'abord, je pense qu'elle s'est trompée dans son quart et qu'elle vient trop tôt me relever. Pendant ce voyage, j'assure l'essentiel des quarts de nuit pour les laisser se reposer de tout ce qu'elles ont appris dans la journée.
Mais elle s'accoude au bastingage sans un regard dans ma direction.
Peut être qu'elle ne m'a pas vu, perdue dans ses pensées.
Peut être qu'elle m'ignore sciemment, comme elle le fait, de temps à autre, me lançant alors un de ses regards vaguement dégoutté, comme lorsqu'on découvre un insecte velu coincé dans les mailles de sa moustiquaire.

Je décide de ne pas la déranger, de la laisser à ses pensées, à ses rêves et ses désirs, si elle en a.
A quelques mètres l'un de l'autre, mais comme séparés par des miles.
A quoi pense-t-elle, cette fine jeune femme, tandis qu'elle regarde les vagues noires qui caressent la coque ?
A qui pense-t-elle lorsqu'elle lève brusquement la tête en soupirant vers la lune gibbeuse.

La jonque chemine lentement, les voiles au minimum, navire d'argent au large des îles Rhyliénites.
Et elle plonge, s'enfonce plutôt dans cette masse mouvante et sombre.
Nager, en pleine nuit.
Quelle crétine !
Ne se rend elle pas compte qu'elle peut rapidement perdre la jonque, éloignée par une vague un peu brutale ?
Ou préfère-t-elle être happée par quelque monstre marin brusquement remonté des profondeurs, poussé par une fringale nocturne ?
Elle ne pouvait pas attendre de débarquer pour aller se suicider ?

En jurant silencieusement, je bloque le gouvernail et m'élance vers le bastingage.
Ce n'est pas un accident, elle est bien en train de se baigner... Je grimpe rapidement dans le gréement, pieds nus et silencieux, pour réduire complètement la voilure afin de ralentir encore la jonque.
Une fois la manœuvre effectuée, je retourne vers l'échelle.
Au bout de quelques instants, qui m'ont paru des heures, je la vois enfin remonter à la surface et se diriger vers la coque, vers l'échelle.

Lorsqu'elle arrive au niveau du bord, je saisis brusquement son poignet et la hisse sans ménagement sur le pont.
Je suis furieux, furieux de m'être inquiété, furieux d'être distrait par sa chemise rendue transparente par l'eau, furieux d'avoir cru la perdre, furieux du regard indigné qu'elle me jette, furieux de sa bêtise.
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Message  Djaya Mer 13 Mai - 11:15

J'ai été surprise, je ne m'y attendais pas.
Un petit cri m'a échappé, une sorte de hoquet, minuscule, mais même ça, c'est trop, et ça m'énerve... et je lui en veux.
De m'avoir surprise.
De m'avoir fait crier.
De m'avoir vue, en fait, parce que je ne me surveillais pas vraiment.
...
C'est à moi que j'en veux le plus d'avoir perdu de vue le fait qu'il a choisi la majorité des quarts de nuit. D'avoir en quelque sorte affiché mon malaise. Surtout à lui.

Alors je lui décoche un regard sombre et je serre les dents. Il a failli me faire trébucher alors que j'enjambais la lisse, et il me serre encore le poignet, juste un peu trop fort... Un geste brusque, et je le dégage de sa main. Je l'enferme dans la mienne. Et je gronde.

Tu me fais mal, qu'est-ce qui te prend ?

Et puis c'est quoi cet air courroucé ?
On n'a pas le droit de se baigner ?
On n'a pas le droit d'avoir besoin d'air ?
Le pont est à monsieur tout seul ?
J'ai interrompu quelque chose ? Tiens, après tout ça c'est très possible.

Je lance un regard derrière lui vers cette partie surélevée du pont où se trouve le goouvernail, mais il n'y a personne. Ou peut-être qu'elle est redescendue pendant que j'étais dans l'eau. Et que c'est pour ça qu'il est furieux.

Pincement glacé au coeur.
Je frissonne.
Je suis trempée, et il fait frais cette nuit...

Ses dents serrées, les miennes pareil, on pourrait rester comme ça pendant des heures. Sauf qu'il me vrille la tête avec ces yeux noirs qu'il a, et qu'une bribe de rêve me remonte à l'esprit, comme une bulle malsaine, et que ça me fait ciller.

Le baril d'eau de pluie est tout près. C'est pas de l'eau qu'on boit, celle-là sert justement à ce que je compte en faire. Je plonge l'espèce de seau de métal dans la barrique, et me le renverse au-dessus de la tête. C'est froid, c'est brutal, ça coupe le souffle...

Mais l'eau de mer, ça poisse les cheveux.

Et puis comme ça je peux lui tourner le dos. Et prendre quelques secondes pour me remettre les idées en place...

Djaya

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Message  Six Mer 13 Mai - 19:44

Évidemment, elle fait sa courroucée.
La meilleure défense, c'est l'attaque hein ?
Mais elle croyait quoi ?
Être toute seule sur une jonque ???
J'ai droit au regard haineux, à la colère qui tord sa bouche.

Tu me fais mal, qu'est-ce qui te prend ?

Ca me déstabilise bien sur.
Ma colère tombe d'un coup.
Saleté de prothèse.
Connard de monstre.
La blesser, bravo. Tu aurais pu lui casser le poignet, abruti. Pour un bain.
Ça, pour frapper, mutiler, abimer, tu es fort....

Je reste interdit, les bras ballants, un vrai idiot. Encore un peu et je bafouillerais une annerie. VOire même une excuse, ce serait le comble...Alors je me renferme, je me ferme, le visage, le regard.
Un masque.
Elle n'a rien vu, elle regardait derrière moi
Elle regardait quoi d'ailleurs ? Si on était plusieurs ?
Mais qui pourrait avoir envie d'être de quart de nuit s'il n'y est pas obligé ?
A moins qu'elle pense que...
Non, pas elle.
J'essaie de ne pas être distrait par cette idée idiote, j'affiche mon regard noir, duel des yeux, le genre ou on est tué d'un battement de cil.
Mais elle se détourne.

La chienne, me faire ça...
Alors que je devrais profiter qu'elle ait le dos tourné pour me recomposer une attitude, trouver quelque chose à dire, je me retrouve incapable de penser, uniquement capable de contempler le flot qui coule sur ses cheveux, les torsades sombres qui glissent, caressées par l'eau, qui se tortillent comme vivantes sur ses épaules et ces omoplates qui se dessinent sous le tissu, la taille qui semble se creuser.

Je devrais lui expliquer :
Les dangers nocturnes, les courants traitres, les dérives brusques.
Mon inquiétude et mes excuses.

Mais rien de tout ça ne me vient.
Alors je rattrape son poignet, plus doucement cette fois.
Et la force a se retourner.
Elle va ouvrir la bouche, elle va...
Je ne lui en laisse pas le temps.

Je l'embrasse.
Oh, pas longtemps.
Pas assez longtemps.

Le temps de sentir la pulpe de ses lèvres.
Le temps que nos dents s'entrechoquent
Le temps de sentir son haleine fraiche, froide, qui s'échappe en un hoquet de surprise.
Et je la relâche.
Son poignet, je lâche. Ses lèvres je quitte.
Je sais que ça va exploser.
Je sais que je n'aurais pas du.
je sais que le coup de la serveuse, c'est de la rigolade à côté de ce qui m'attend.
Mais je ne regrette rien.
Campé sur le pont, les pieds solidement ancrés sur les planches, j'attends la tempête, un air de défi sur le visage.
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Message  Djaya Mer 13 Mai - 21:20

Après le choc de l'eau froide, ça...
Je ne m'y attendais pas.
Je n'étais pas prête.
Je n'aurais jamais été prête, de toute façon...

C'était très bref... Trop bref. Trop long. Trop doux, trop brutal.
J'ai cru qu'il voulait m'engueuler encore et quand je me suis retournée il était déjà beaucoup plus proche que je ne m'y attendais et...

Et voilà, je suis restée comme une idiote, pétrifiée, une statue vivante, et encore, je crois bien que j'ai arrêté de respirer. Et j'ai rien compris. Il était furieux. Je croyais qu'il était furieux.
Non, il était réellement furieux, j'en suis sûre et...
Mais alors pourquoi il...
Oh merde je comprends pas...

J'ai du mou dans les genoux, heureusement la grande barrique est juste derrière moi, je sens le bois contre mes fesses, mais c'est rond une barrique, alors j'attrappe le rebord de la main, à tâtons... Et c'est un gros instant plus tard que je réalise à quel point ça trahit le fait que... que je tiens pas vraiment debout.

L'emmerde c'est que j'arrive pas à baisser les yeux. Parce qu'il est toujours là. Tout près. Il m'a lâchée, s'est redressé, c'est tout, mais je sens sa chaleur là où je ne suis pas couverte de vêtements gorgés d'eau froide et... et quoi ? Tu fais quoi, là ? Tu le fixes avec des yeux de dingue et le menton qui vibre, juste parce que tu ne comprends pas pourquoi il a fait ça, pourquoi ça te fait ça, pourquoi tu l'as pas encore giflé, pourquoi t'as pas envie de le gifler, pourquoi t'as la tête qui tourne et envie de te foutre à pleurer comme un veau ?
Mais qu'est-ce qui m'arrive bordel !
A quoi ça rime de rester figée, gelée, la tête levée, les yeux accrochés aux siens comme on regarde le rond de lumière depuis le fond du puits ? Avec l'impression que je vais tourner de l'oeil ou éclater en sanglots comme je ne l'ai plus fait depuis des années ? Pleurer pour quoi ? Parce que je comprends plus rien ? Que je ne contrôle plus rien ?
Parce que personne m'a jamais embrassée, peut-être ?
Jamais comme ça...
Doucement...

Oh merde...
C'est le foutoir complet dans ma tête...
Le foutoir complet...

Et maintenant Djaya ?
Maintenant ? Aucune idée.
Partir ? Sûrement pas. Je ne peux pas. Et je ne veux pas.
Parler ? Avec quoi, plus de voix, et les lèvres qui tremblent.
Respirer, déjà, ce serait pas mal... sans hoquet, ce serait même mieux...
Surtout ne pas lâcher la barrique, sinon je perds ce qui me reste de dignité.
Peut-être fermer les yeux, pour arriver à me décrocher, ce serait bien... et essayer de reprendre un tout petit peu mes esprits...

Je tremble.
Evidemment.
J'ai froid.

...
Quoique...
J'ai chaud.
J'y comprend rien.
Je suis paumée...
Paumée.

Je rouvre les yeux, je tombe droit dans l'échancrure de sa chemise, évidemment, je suis pas grande, encore moins pieds nus... A gauche, vers le pont, vers le reste du monde, regarder des choses concrètes, solides, me concentrer, le pont sous mes pieds, le balancement de la jonque, le balancement rythmique et lent... Bouffée de je sais pas quoi qui m'empourpre le visage, me fait perdre tout ce que j'avais récupérer de calme, merde, mais qu'est-ce qui m'arrive...
Je referme les yeux.
Laisse descendre ma tête.
Respirer, ne penser à rien.
Le bois du pont, le bois de la barrique, la chaleur proche de son corps, la sensation qui reste sur mes lèvres et les voilà... les voilà.
Dans le calme qui revient, je les vois monter lentement, tranquillement, les bulles de souvenir, grasses, sombres, la puanteur en elles... non.
Je vous refuse.
Je vous chasse.
C'est différent.
Il est différent.
Je suis différente...

Mais le rêve est là, les yeux noirs et le rire, le rythme et la peur, la souffrance et la honte. Et je tremble encore. J'ai froid. Et je crève de trouille.

Ma respiration est rétablie, mais trop rapide. Mes genoux me portent à nouveau, ils sont prêts à fuir, il suffit d'un geste du coude, trois pas, un bond, la mer, et en deux ou trois heures, le rivage.
...
Et je ne le ferai pas.
Je ne le ferai pas.
Il est différent.
Il l'est.
Il n'est pas un rêve, il existe, il respire, il est tout près de moi et ses lèvres étaient douces...

Aucun d'eux n'a jamais essayé d'être doux.
Sauf un.

J'ai jamais rien fait d'aussi difficile de toute ma vie.

Je redresse la tête, je relève les yeux.
Cramponnée au tonneau, les orteils crispés sur le bois du pont, je le regarde en face, je cherche les yeux, ses yeux d'homme vrai, le reflet de la lune renvoyé par la surface de l'eau, rien à voir avec une veilleuse sur la table de nuit d'une enfant, et dedans, du défi et un peu d'inquiétude, rien à voir avec la cruauté, l'ignoble lubricité.

J'arrive à tenir.
Mais je sais pas si je pourrai tenir longtemps...

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Message  Six Jeu 14 Mai - 23:22

J'aurais préféré qu'elle me gifle.
Ça aurait été facile, je l'aurais joué nonchalant, le genre pirate tombeur.

J'aurais préféré qu'elle me réponde par un sourire aiguicheur.
Ça aurait été plus facile, je l'aurais embarquée dans ma cabine.

Ça aurait été plus facile, oui.
Mais non, je n'aurais pas préféré, en fin de compte.
Je n'aurais pas aimé être rejeté.
Ni la mettre en colère.
Ni qu'elle m'invite comme une quelconque mado.

Mais là...
De la voir éperdue, le regard hagard, presque affolé, je m'en veux.
M'en veux d'avoir succombé à mon désir sans tenir compte de son envie. D'avoir envie de l'embrasser, encore, plus calmement. Plus longuement.
C'est son regard qui me sauve.
Celui qu'elle accroche au mien.
Résolument.
Avec de la peur (de la peur ? elle ?)
Avec de l'espoir (de l'espoir ? elle ?)
Avec de la confiance. Vacillante. Tremblante. Mais de la confiance quand même. De la confiance qui n'était pas là après le faux baiser. De la confiance nouvelle née. Encore fragile. Papillonante.

Alors je souris, mais plus avec défi. Avec espoir. Avec peur. Avec confiance.
Ma main qui se lève, la vraie, celle qui ne serre pas et qui se pose sur sa joue, pour sentir la douceur de la peau et l'os dur et tremblant de la mâchoire ; et cette main qui n'ose se poser sur ce territoire interdit qui glisse, effleure les lèvres.
une caresse dans laquelle je voudrais dire tant de chose, une carresse qui veut dire "excuse moi pardon je ne regrette pas si tu savais comme..."

Mais je ne peux pas prononcer ses mots, pas devant un tel air égaré.

Mes doigts la quitte, avec regret.
Un chuchottement, visage penché vers elle :

"ça t'apprendra à te baigner la nuit"

Idiote, tu vas prendre froid.... Viens dans mes bras.
Mais ça, je ne le dis pas.
Hélas.


Dernière édition par Six le Ven 15 Mai - 6:59, édité 1 fois
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Message  Djaya Ven 15 Mai - 1:09

Son sourire c'est presque comme un autre baiser.
Aussi doux, léger.
Et il me fait descendre le même long frisson tout le long du corps, de la nuque aux doigts de pied...
Je n'ai pas vu sa main se lever, j'étais trop concentrée sur son regard soyeux... mais la caresse est un baiser aussi, furtive, trop brève, et laissant sa marque sur ma peau, son fantôme de présence...

J'ai comme l'impression de me perdre dans le temps... incapable, la tête sur le billot, de dire combien de secondes dure cet instant. Mais je sens ma vie qui bascule, comme cette nuit au relais où j'ai accepté de le suivre. Quelque chose qui se met en place, à sa place. Le regarder devient à la fois plus facile et de plus en plus insoutenable...

Puis son sourire s'entrouvre, les mots s'en échappent, tout doux encore, chargés de... tendresse ? Oui, aussi... Et d'incertitude aussi... Est-ce qu'il sentirait, lui aussi, à quel point tout est fragile ? Le moindre geste trop vif, trop fort et... et tout disparaît... comme une bulle...

Et je les sens à la lisière de ma conscience, aussi... les souvenirs... je sais qu'il me guettent, qu'ils attendent, de toutes mes forces je les repousse, j'essaie de les ignorer, je me répète obstinément que c'est différent, que ça n'a rien à voir, rien à voir... Et j'y arrive... Presque...

Ses mots, une petite taquinerie, légère... Alors je ris, à peine, un rire très bref, haché, aboiement de chiot. Et je sens mes lèvres fléchir, toujours tremblantes, en une tentative de sourire qui doit partir tout de travers... Et je m'énerve à me dire que je me soucie de ce qu'il voit, mes cheveux trempés, mes yeux battus, mon teint pâli par l'insomnie et le froid qui commence à me gagner... Je résiste à l'envie de pousser derrière mon oreille une mèche qui me dégouline au bord de l'oeil... parce que ça cachera peut-être le frémissement de la paupière, et celui des doigts.
C'est n'importe quoi, Djaya...
C'est n'importe quoi... et pourtant ce n'est pas la première fois, n'est-ce pas ?
Silence... je ne veux pas savoir. Pas maintenant...
Mais si... rappelle-toi cette veste bleue... celle qui te serrait parfaitement al taille, et qui rehaussait le cuivre de tes cheveux... Pourquoi n'avais-tu pas choisi l'autre, plus discrète ?
J'ai dit silence... c'est pas le moment de me remettre en mémoire des trucs gênants et embarrassants, j'ai déjà ma dose et plus encore...

Il va falloir que je me décide à essayer de dire quelque chose... n'importe quoi... Alors je balbutie, très bas, les yeux qui clignottent et une féroce envie de fuir les siens pour les braquer ailleurs, sur son épaule, son menton, un morceau de lui qui ne m'intimide pas autant... mais je tiens bon... Ses yeux me font peur, mais ils sont ma sauvegarde... Tous les hommes ont des épaules, et elles se ressemblent... tandis qu'aucun d'eux n'avait ce regard-là...

Qu'a-t-il dit encore ?
Ah oui...

Quel... quel châtiment...
Ca me dissuaderait presque de recommencer...


Ca m'est sorti comme ça, j'ai pas réfléchi, et c'est idiot cette petite phrase, dite de cette petite voix de souris piégée par le chat... Ca pourrait faire comme si je... je sais pas. Comme si je... oh merde, comme si je l'allumais, voilà...
L'allumer, moi...
Alors ça c'est du grand délire...

Ce bête petit rire, encore...
Un frisson, plus marqué, et le son sec d'un claquement de dents. Merde... Je vais choper la mort si je reste là, trempée comme une soupe...
Geste presque involontaire, les mains sur le haut des bras, et c'est là que je réalise aussi ce que le froid révélait comme relief que j'aurais préféré cacher...
Et je rougis comme une demoiselle qui entend son premier juron.
Et je perds contenance, cette fois...
Je baisse les yeux, un soulagement, et pourtant je le regrette aussitôt...

Je me les gèle...

La même petite voix ridicule, plus faible encore, peut-être...
Effectivement je me les gèle, sauf les joues qui me cuisent...
Et à imaginer son regard, ce qu'il n'a pas pu manquer de voir, elles me cuisent davantage encore...
Et je sens les remours noirs et paresseux, au fond de moi, les souvenirs qui se prélassent, huileux, sales, fétides... un océan fangeux qui n'attend plus qu'un faux pas...
Danger...

Un autre frisson, violent.
J'ai froid.
J'ai très peur aussi...

Djaya

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Message  Six Jeu 21 Mai - 13:33

Je la vois grelotter, claquer des dents tout en me regardant avec défi et terreur.
Ca fait la seconde fois que je distingue, crois distinguer, de la peur chez elle.
Peur de moi.
Djaya, peur ?
Que t'est-il arrivé, belle rousse, pour que tu me craignes autant ?

J'ai envie de la prendre dans mes bras, pour la réchauffer, la réconforter, la rassurer, mais je n'ose pas.
Je l'ai embrassé, tout à l'heure, parce que j'avais eu peur, parce que je la désirais, parce que j'avais cru la perdre, parce qu'elle était si belle.
Toutes ces émotions sont toujours là, mais je les serre bien fort dans ma poitrine, mon ventre, mon bas ventre.
Pas de danger qu'elles s'échappent.

Viens, tu vas attraper la mort.
Un pas de côté.
Mon bras qui enserre sa taille froide, son épaule humide contre ma poitrine, ses frissons qui lentement s'apaisent tandis que je la guide vers la dunette.
Il y a là dans le coffre derrière le gouvernail des couvertures et un brasero chauffe une théière.
Je l'emmènerais bien dans ma cabine, plus chaude mais...

...mais j'ai peur de ce qu'elle pourrait penser....
....peur de ce qui pourrait se passer....


... Mais je ne peux laisser la jonque voguer sans gouvernail, on est encore trop près de l'archipel, des récifs peuvent se présenter.

J'ouvre le coffre, en sort la couverture la plus douce possible, celle en cotonnade doublée.

Enroule toi avec ça. Enlève ta chemise.


Je me détourne, je bloque le gouvernail, attise les braises, verse un thé dans un minuscule verre aux parois épaisses.
Je m'assois près du feu, le dos contre le bastingage, la vue dégagée sur la proue.

Viens.
Contre moi.
Pour te réchauffer.


A toi de voir, Djaya... Tu es maitresse de ta vie. Et peut être de la mienne.
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Message  Djaya Ven 22 Mai - 0:37

Je me suis laissée emporter sans résistance. Son bras dans mon dos me rappelait ces heures brumeuses où il m'aidait à marcher pour gagner Aster Damné, alors que je serrais les dents sur mes dernières forces, que j'essayais d'oublier la douleur et le froid, de gommer ma peur. Oui, son bras autour de moi est familier, la fermeté de son torse contre mon épaule. Un mauvais souvenir, mais avec cette part de chaleur qui me venait de ses efforts, de ses mots d'encouragement et de ses regards inquiets.

Les mêmes mots, presque.
Les mêmes regards.
Presque.

Je lui ai fait confiance, alors.
Je lui fais confiance ici aussi...
Même si le contact de sa main... il ne me brûlait pas comme ça, alors... Ou bien si ? Je ne sais plus...

Il me fait contourner le gouvernail, me tend une couverture. Je la connais... Quand je prends un quart de nuit j'aime à m'y rouler, elle sent bon et elle est douce... Je la prends de mes mains glacées à présent, acquiesce à ses mots... Fort heureusement il se détourne immédiatement pour s'occuper du brasero, sinon... Nom de Dieu Djaya, c'est ridicule... Il te tourne le dos, et il a raison, tu grelottes, il ne faut pas garder ça sur toi, et puis merde, elle ne cachait pas grand chose, cette vieille chemise, de toute façon.
Suffit les gamineries.
Je pose la couverture, déboutonne au plus vite la chemise trempée qui me colle à la peau, j'ai les doigts gourds, les boutons ne se laissent pas faire et je m'énerve dessus... J'en viens à bout finalement, et l'étoffe se décolle de moi avec un bruit mouillé. Ma peau se hérisse immédiatement d'une chair de poule tellement intense qu'elle est douloureuse. Je ramasse la couverture comme il finit de verser le thé dans un verre et l'enroule autour de mes épaules. Soulagement immédiat... Ce ne sont plus des tremblements qui m'agitent, ce sont presque des spasmes à présent...

Au lieu de se tourner vers moi et de me tendre le verre (tu aurais quand même pu t'assurer que j'étais décente, avant de te retourner !... et l'idée me fait monter le sang au visage, encore...) il va se caler contre le bois du bastingage, et c'est une place que je connais aussi, le gouvernail à deux pas, le brasero tout proche et sa chaleur sensible, la jonque sous les fesses et dans le dos, la vue sur le pont en contrebas, les voiles, et l'horizon... Est-ce qu'on a tous les mêmes manies ? C'est étrange...

Ses mots brefs m'atteignent comme des bourrades à l'épaule. La voix un peu rude, et pourtant... Ce ne sont pas des ordres. Comment se fait-il alors que je me sens presque obligée d'y répondre ?
"pour te réchauffer"... Oui... Tu as précisé... pourquoi ? Parce que tu sais que j'ai peur de toi ? Parce que tu te doutes que la signification des trois premiers mots pourrait être toute différente, sans les suivants ? Il suffirait d'attendre que je me réchauffe, le brasero et la couverture sont suffisants. Mais tu me dis "viens"...
... et je sais que je vais venir.
Malgré la peur, ou à cause d'elle.
Je vais aller d'un pas un peu incertain, hésitant, m'agenouiller puis m'asseoir à ton côté, mais je n'oserai pas, je pense, me serrer contre ton flanc. Pas tout de suite. Il me faudra quelques secondes. Et je serai raide comme le bois. Tu sais pourquoi ? Parce que ce sera la première fois que j'y viendrai de moi-même.
Dans la forêt j'étais blessée et je ne pouvais marcher seule.
A l'auberge je ne tenais pas debout.
Il y a deux minutes je tremblais de froid et j'avais du mou dans les genoux.
A chaque fois c'était toi.

Ici, c'est moi qui suis venue me blottir sous ton bras. Tendue, serrée comme un poing. Effrayée par ton contact, et en même temps, le seul contact ami que je connaisse. Piégée dans un paradoxe inextricable... J'ai besoin d'être rassurée, et ce qui me fait peur est ce qui me rassure en même temps.
La chaleur de ton corps.
Sa proximité.

Surtout ne bouge pas.
Je m'enfuirais.
Laisse-moi le temps de me détendre, de me calmer.
De comprendre.
Tout tourne, tu sais...
C'est idiot, juste un baiser et quelques mots, c'est insensé, ça ne peut pas avoir un tel pouvoir.
Ca ne peut pas sembler à la fois inoffensif et doux, et si terriblement menaçant.
Ca ne peut pas jeter vers les quelques dernières semaines autant de lignes vers autant de souvenirs qui tous, convergent au même point...
Des regards évités, des regards guettés. Cette volonté d'être irréprochable, parfaite. La pointe de fierté à chaque louange, la désolation masquée derrière chaque reproche, même le plus infime. L'attention apportée à ma tenue, et en même temps, ne pas que ça se remarque. Le petit tourbillon de terreur à chaque fois que tu t'éloignes, que tu descends à terre, qui vas-tu voir, comment est-elle, est-ce que je sentirai son parfum sur toi quand tu reviendras. Et l'ignoble soulagement de ne rien sentir de particulier.
Merde...
T'aurais pas dû faire ça...
En même temps tu pouvais pas savoir...

Je crois que c'était dans l'air depuis le début, et que ça fait un moment que j'aurais du prendre la peine de me mettre à moi-même les yeux en face des trous...
Je suis amoureuse de toi.
Et là où ça se corse, c'est que je désirais ce baiser, ces mots.
Et là où ça devient carrément effrayant, c'est que tu vas t'attendre à plus.
Mais qu'il n'y aura rien.
Rien.

C'est la merde, Six.
La merde totale, complète, inextricable.
Et j'ai pas la moindre idée de ce que je dois faire pour résoudre ça.

Des idées qui me tournent plein la tête, les membres raidis, le froid a cédé un peu de terrain, mais la tension est autre. Les tremblements décroissent, mais ici aussi, c'est plus tellement le froid qui m'agite, c'est la tension, encore. Je cherche quelque chose à dire, n'importe quoi, parce que sinon je vais... quoi ? Pleurer ? Crier ? Parler de ce qui est passé, cassé, trop tard ? Autant dire des choses inutiles et rompre ce silence... Il me porte sur les nerfs, ce silence, et il y a trop de choses sur mes nerfs, déjà...


Je ne risquais rien tu sais.
C'est pas la première fois.
Et puis je ne me suis pas éloignée, la mer était lisse...


Une gamine qui se défend pour éviter de se faire gronder.
D'accord, ça me va...
C'est moins dangereux de parler de ça que de laisser le silence finir de saper mon maigre reste de dignité...

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Message  Six Sam 23 Mai - 10:42

Je la sens contre moi, chaude et tendue, si vivante et si raide.
Elle ne serait pas venue de son plein gré, je me serais écarté, pensant la gêner.
Mais non, elle a juste peur.
Et mon baiser n'a pas arrangé les choses, apparemment.

Alors je ne dis rien, je profite du moment, la nuit, l'océan, ma jonque et cette femme si belle et si inaccessible dont je respire l'odeur salée des cheveux.

Je lui prend la main, y dépose la verre de thé.
Ne rien dire, jouir juste de l'instant, il va disparaitre si vite.

Mais je sens la vibration de ses nerfs, la terreur dans les accents rauques de sa voix.
Djaya, ma belle, il n'y a pas tant de raisons que ça d'être terrorisée par les hommes.
Se protéger par un écran d'indifférence, ne pas s'attacher, utiliser la morgue et la mauvaise humeur comme répulsif..
Tout hurle la méfiance, cette méfiance de chacune des cellules envers les autres.
Djaya, j'aimerais tant, j'aimerais plus, je m'en rends compte cette nuit avec toi contre moi.
Mais tu ne me fais pas confiance. Parce que je suis homme avant d'être Six.
Alors j'ose. Parce que c'est un cadeau, parce que c'est la nuit, parce que c'est toi et cet instant fragile.

J'ai eu peur.
Peur de te perdre. De ne plus t'avoir à mes côtés.
Ca m'aurait été insupportable.


Crispation, infime recul.

Et si, ça pouvait être dangereux. La mer est capricieuse, elle ne fait jamais ce qu'on attend d'elle. Un moment maternelle, la seconde d'après, une furie.

Un gorgée de thé. J'hésite encore. Puis je me lance.
Une nuit, il y a longtemps...
J'étais un gamin à l'époque.
J'ai fait comme toi...
Profité de la nuit pour me glisser dans les flots et nager...


Une autre gorgée et tant pis si je m'ébouillante la langue.

Je ne cherchais pas à apaiser mes angoisses nocturnes, ou me rafraichir de l'air lourd, non.
Je cherchais à fuir. M'éloigner de ce bateau. Nager le plus loin possible, jusqu'à la côte ou mourir en essayant.

Je n'ai pas besoin de raconter pourquoi je fuyais. Mais je la sens attentive, enfin proche, même si elle n'a pas bougé.

J'étais esclave sur ce navire. Esclave des plaisirs du commandant. Ça faisait un mois.
Sentir mon pied happé par une bouche froide hérissée de dents venimeuses, sentir l'eau épaisse me remplir les poumons me paraissait préférable à ça... Etre un objet. Sentir la concupiscence vous asperger comme du vomi.
Alors j'avais quitté la cabine aux draps souillés et j'avais plongé.
J'ai failli y arriver. Je m'étais bien éloigné lorsque l'alerte a été donnée.
C'était sans compter sur la mer. Si joueuse. Si indifférente..
Une brasse de plus, une brasse qui m'éloignait et je me suis retrouvé dans un courant qui m'a brutalement emporté..
vers le navire.
Un quelques minutes, je me suis retrouvé à mon point de départ, me cognant contre la coque.
Ils n'ont eu qu'à me repêcher... Poisson blafard et suffocant.
Alors, si, Djaya. Ca pouvait être dangereux.


Ce qu'il y a de bien, quand elle est dans mes bras, c'est que je ne peux pas voir son visage. Ni ses yeux. Alors je scrute l'horizon. C'est bien aussi, l'horizon.
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Message  Djaya Dim 24 Mai - 14:06

Ses gestes sont neutres, doux, et je me souviens d'avoir vu un dresseur agir avec la même douceur fluide pour calmer un cheval nerveux et effrayé... C'est peut-être un peu ce que je suis. Un animal ombrageux, tendu. La chaleur du thé traverse le gobelet et gagne ma paume. C'est agréable, même si ça brûle un peu...

Sa voix aussi est douce et neutre, pourtant ses paroles me font frémir jusqu'au fond des os. Certains mots s'impriment en moi. Perdre. Insupportable. Ceux qui me courent dans la tête depuis longtemps déjà. Les mêmes mots, mais dans sa bouche à lui et...
Et ils sont sincères.
Je le sens.
J'ai même pas l'idée de douter de lui une seule seconde.
Et déjà rien que ça c'est surprenant...
J'ai l'impression d'être debout au bord d'une falaise et de regarder dans le vide. Vertige.

Il continue à parler, la voix presque rêveuse, et à mesure que son récit se dévide, j'ai l'impression de plus en plus nette d'entendre ma propre voix... Et quand le doute n'est plus permis, c'est comme un poids qui me tombe dans la poitrine. Les tripes qui se tordent, le coeur qui fait mal. Des sensations qui jaillissent sur ses mots, objet, concupiscence, souillure. Les images qui me viennent, immondes, des sourires grimaçants, des corps immenses, velus, implacables. Le souffle me manque, je ne sens plus mes doigts serrés autour du gobelet, serrés sur la couverture, je ne suis qu'une crispation de la tête aux pieds, une crispation qui cherche à respirer, la bouche ouverte comme un poisson sorti de l'eau. Poisson blafard et suffocant. Blafard et suffocant...

Je lève la tête, tords le cou.
Il faut que je voie son visage.
Il faut qu'il voie le mien.
Je m'en fous de l'air que j'ai, les lèvres qui tremblent, les yeux exorbités, blême.
Il faut que je trouve ses yeux.
Impossible qu'il parle de ça avec autant d'aisance, comme une blessure ancienne dont on montre la cicatrice à un enfant pour lui apprendre à être prudent.
Impossible...
Pas lui.


Tu... toi... et... oh nom de Dieu...

J'ai plus pleuré depuis des années.
D'ailleurs c'est pas ça pleurer, ça coule, c'est tout.

Je pose le gobelet d'une main qui tremble violemment, parce que j'ai besoin de cette main pour me la passer sur le visage. J'y crois pas, c'est pas possible. Pas ce qu'il dit, ça je le crois, évidemment mais... Non c'est pas possible.

Il a subi la même chose.
La même chose que moi.
Exactement.

Ca continue à me dégouliner sur le visage, mais je le sens à peine. J'arrive pas à le croire que je suis assise à côté d'un homme que j'ai laissé approcher de moi avec réticences, que j'ai appris à tolérer avec trop de facilité, qui m'est devenu indispensable sans que je m'en rendre vraiment compte, et que cet homme-là vienne à l'instant de me dire, sans en avoir l'air, qu'il a subi la même chose que moi.

Et du coup ma propre histoire qui brise toutes ses chaînes, alors que je l'avais enfermée, cadenassée, enfouie très loin, monté des murs tout autour, la voilà qui m'emplit et qui hurle, qui m'étouffe, qui me brûle la langue, et je sais qu'elle va m'échapper cette nuit, mais j'ai peur, horriblement peur de voir son regard changer...

Alors j'ai cet espèce de rire qui ressemble à un sanglot, et je balbutie de cette voix méconnaissable, cassée, griffée de souffrance.


Ah bon toi tu as voulu mourir.
Marrant.
Moi j'ai tué.
Mais tuer ou mourir somme toute c'était pareil...


Ca veut rien dire ou peut-être que si.
Je les ai tués, mais c'est moi qui suis morte.

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Message  Six Lun 25 Mai - 18:47

Il serait facile, après coup, de dire qu'on savait, qu'on avait deviné, qu'on s'en doutait.
Mais rien de tout cela n'est vrai.
J'avais senti confusément que ce n'était pas moi qu'elle craignait. Mais, dans l'instant, je ne m'étais pas interrogé sur l'origine exacte de sa peur.
Mon récit n'avait pas pour but de provoquer la compassion. Ni la pitié.
Mon récit était une façon de m'offrir à elle, de se rendre vulnérable pour se rendre accessible.

Et sa réaction m'a surpris.
Surpris et éveillé comme lorsque soudain des pièces de bois d'un casse tête exotique se mettent en place, révélant l'objet dans son ensemble.

Et chacun de ses sanglots me transpercent le cœur et l'âme.
Alors je me penche vers elle, acceptant ce regard humide qui me cherche et me questionne.
J'y déchiffre des pans d'histoire, d'histoires mêlées, la sienne, la mienne, la notre.
Ce qui fut et la douleur à vif,
Ce qui est et la peur du contact,
Ce qui sera et l'espoir terrorisé.

Et j'accroche son regard, la force à ne pas le lâcher, la force à s'abandonner pour qu'aucun doute ne subsiste sur ce que nous comprenons l'un de l'autre.
Et lorsque c'est trop douloureux de se pencher au dessus de nos gouffres avides, sur cette soif d'amour mutilée, je redresse le visage, enveloppe ses épaules tremblantes de mes bras, la serre contre mon torse, mes lèvres sur son front, pour partager, à défaut du reste, la simple chaleur de nos corps et le rythme entrelacé de deux souffles chaotiques.

C'est maintenant que je me rend compte combien j'ai besoin et envie d'elle, de sa présence et de son être.
C'est maintenant que je me rend compte qu'elle m'est inaccessible.
Les écorchés fuient tout contact, c'est trop douloureux.

Un murmure, dans ses cheveux, tandis que
mes bras l'entourent :
J'ai tué aussi.
Mais tu as raison tuer ou chercher à mourir n'est qu'une fuite.
Mais nous sommes plus que nos blessures.
Plus que nos fêlures.
Le passé ne demeure que dans nos souvenirs. Et dans nos cauchemars...
La guérison est possible. Et l'abandon aussi.

Écoute le battement de mon cœur.
Tu entends ?
Il bat. Malgré tout.


Certes, il bat vite... Mais c'est à cause d'elle.
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Message  Djaya Lun 25 Mai - 23:41




Il m'a fixée longuement, et j'aurais pas pu baisser les yeux. La lame sur la gorge on me l'aurait ordonné que j'aurais pas pu. Il fallait que je voie si...
Même si c'était improbable.
Mais est-ce qu'on sait jamais ?...

Et au bout de ce long, très long moment, il m'a juste attirée contre lui, le visage dans son cou, et je ne sais pas si il a idée de l'espace qu'il me fait franchir en faisant ça. J'étais tout près de lui pourtant. Mais ce qui restait c'était comme la moitié d'un gouffre.

Et là alors qu'il me parle, qu'il chuchote des paroles qui voudraient me réconforter, et qui arrivent un peu quand même, moi je me déverse, sans plus aucune pudeur. Autant j'étais raidie, autant je me relâche, et je trempe sa chemise de larmes bizarres et silencieuses. J'ai jamais pleuré comme ça, même quand j'étais môme, même au plus profond de la terreur et du désespoir, jamais pleuré comme si j'allais me vider. Secouée de spasmes que j'arrive pas à contrôler, un affreuse grimace à la bouche, comme si je hurlais, sauf que ça fait pas un bruit, à peine un souffle, et ça dure, ça dure, ça m'épuise...

J'ai passé un bras derrière lui et c'est pas la main que je plaque dans son dos, c'est mon poing fermé, et je le serre de tout ce que j'ai comme forces qui ne me servent pas à pleurer. L'autre main, un poing aussi, pressé contre sa poitrine à côté de ma joue.
J'ai l'impression que ça n'en finira jamais.
J'ai l'impression que toute l'horreur me revient en plein visage et que je gueule enfin, sans un son, tout ce que j'ai eu peur de gueuler quand l'oncle me menaçait du pire si je ne la bouclais pas. Toute la haine que j'ai amassée contre lui et qu'une seule petite mort trop rapide n'a pas pu nettoyer de moi. Toute la rage, la colère, l'impuissance, le dégoût, la honte, la rancune, le manque, tant de chagrin... Ca me fait peur tellement j'arrive pas à en voir la fin...

Et pourtant ça s'apaise...
A travers le bourdonnement qui vrombit dans ma tête, j'entends sa voix qui me dit d'écouter son coeur, et oui, il est là, c'est vrai, il bat, il est régulier et fort, stable, solide, un coeur à qui on peut se fier, se confier. Alors je me rive à lui, et je plonge dans ses battements de coeur, cette musique vivante que j'écoutais dans les bras de ma mère, il y a tellement longtemps. Un sursaut de souffrance quand je pense à elle, comme toujours, si pâle et maigre les derniers jours, et puis le coeur silencieux dans la chair froide. Mais cette chair-ci est chaude, souple, forte, et le coeur qui y bat est bien vivant.

Peu à peu les spasmes se réduisent à de simples frissons, puis à ces hoquets qui hachent le souffle. Mais je ne relâche pas ma pression derrière lui. Juste que je finis par ouvrir les mains... Une main contre son dos ferme, tiède sous la chemise un peu rude. Une main sous la clavicule, juste posée, encore un peu vibrante. Le front toujours calé sous son cou, le visage en feu, trempé... Un soupir, entrecoupé. Un autre, plus profond. Je pousse un peu du nez, frotte mon visage contre l'étoffe tiède... et toute mouillée.

Je bouge légèrement, me redresse un tout petit peu, pour trouver une place plus confortable, je n'avais pas remarqué que j'étais toute tordue dans ses bras... Comme ça c'est mieux...

Je relève le nez, les yeux. La bouche et le menton toujours pressés contre lui, pas déconner, je suis pas prête à le lâcher, pas question. Ca fait trop longtemps que j'attendais, que j'osais même pas attendre. Les peurs et les malaises sont alourdis de fatigue, pas un mouvement, comme morts. Ils sont pas morts, ce serait trop beau, mais en ce moment précis, malgré tout ce que je sens contre moi d'homme chaud et massif, je n'ai pas peur de lui, pas le moindre frisson de doute. Je cherche ses yeux, au-dessus des miens, je les accroche... Et je ne dis rien. Rien d'important. J'ose pas.

Je... j'ai tout mouillé ta chemise...

C'est quoi cette voix... j'ai de nouveau huit ans, à l'entendre...
Sauf que j'ai pas huit ans, j'en ai vingt-six, je ne suis pas une môme, je suis une femme maintenant, et c'est pas dans les bras de ma mère, que je pleurais, pas dans mon oreiller non plus. Je suis serrée contre le coeur d'un homme, un mâle, comme ceux que j'ai tenu éloignés de moi à la pointe du couteau quand l'acidité du verbe n'était pas suffisant à les repousser. Un homme qui vient de me dire que nous partageons bien plus que l'amour de la vague et le bois d'un vaisseau. Un homme qui a laissé entendre à mots à peine couverts à quel point je comptais pour lui... La chaleur revient dans tout mon corps, un long frisson qui part de la nuque et qui spirale sous ma peau... J'avais entendu les mots mais leur effet s'était noyé dans le choc du l'autre révélation... Et qui sait, peut-être que ça peut tout changer...

C'est quand même pas de l'espoir, ce qui vibre là-dessous...
Trop tôt, trop dangereux, trop... trop le bordel dans ma tête et dans mon coeur, impossible de savoir, ça sert à rien, pas maintenant...

Mais la vibration ne veut rien entendre... Ou plutôt c'est moi qui veux entendre. Et lui faire entendre.

Je... j'ai déliré où t'as dit...

Impigeable, parce que je mange sa chemise à chaque mot. Bon d'accord je décolle la bouche. Mais juste pour articuler correctement.

... t'as dit que...

Non j'y arrive pas. Je repique du nez. Ce sera plus facile si je ne le regarde pas. Alors chemise trempée ou pas je reprends ma place à écouter son coeur. Et je murmure parce que ma voix a soudain pris des vacances.

J'ai très bien entendu.
Tu as dit que tu voulais pas me perdre...
Tu as dit plein de choses difficiles...
Et j'ai même pas dit merci.
Et j'ai même pas dit...


Oh merde. J'ai plus de souffle, et le sang aux tempes.

Même pas dit...

Putain crache-le.

Je...

Non. Rien à faire.
Ca veut pas.
Ca coince.
Merde merde merde.
Allez.

Inspire.
Expire...


Je... t'ai pas suivi ici parce que j'avais pas d'autre solution.
Je l'ai fait parce que... je... voulais... rester avec toi...
J'aurais jamais... j'aurais jamais suivi personne...


C'est pas ça que je voulais dire.
Mais ce que je voulais dire ça veut pas sortir.
Alors il va falloir que tu comprennes à demi-mots...
Je relève le nez, les yeux.
Et tant pis si je mange ta chemise cette fois j'ose pas m'éloigner.


J'ai jamais eu envie de suivre personne...
Jamais envie de personne...
Besoin de personne.
Avant.


Plus clair je peux pas.
Plus, je peux pas non plus, j'ai déjà explosé mes limites...
Et si tu vois pas comme mes yeux te supplient de lire entre les lignes... si tu le vois pas... mais tu le verras, hein dis ?...

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Message  Six Sam 30 Mai - 10:14

Alors qu'elle se déplace légèrement pour mieux s'installer contre moi, la couverture, taquine, glisse sur sa peau, comme une barque sur une mer sereine.

Je vais pour machinalement la remonter mais c'est alors qu'elle relève la tête, capture mon regard et me lâche ces mots d'un ton haché mais néanmoins ô combien distinct.

La blancheur phosphorescente de son épaule nue sous la lumière nocturne, ces paroles qu'instinctivement je comprend - la preuve, j'ai arrêté de respirer et mon coeur essaye de compenser en battant furieusement - mais que je peine encore à interpréter, la chaleur de son corps lové contre le mien, la trace salée et humide de ses larmes contre mon torse.... J'ai soudain l'impression que la jonque gite et je dois me refréner pour ne pas me précipiter vers la barre pour redresser le navire.
Ce n'est pas la Desichada qui gite mais mon âme et mon coeur.

Je recommence, précautioneusement, à respirer, tenant de réaliser, enfin, le sens de ses paroles.

Voulais rester avec toi.

Je me rend compte à cet instant que j'ai toujours cru qu'elle allait débarquer au prochain port. A chaque accostage, je m'attendais, le coeur serré, à la voir descendre la passerelle, son sac sur l'épaule, quittant le navire en estimant être maintenant suffisamment loin de Lonedonne.

Je me remémore alors certains éléments que j'avais chassés de mon esprit, ou mal interprétés et qui, avec son aveu, prennent un éclairage particulier, comme des gemmes soudain extraites de leur gangue pierreuse.

Le faux baiser, l'auberge d'Aster, certains regards mauvais quand je taquinais certaines filles et son soutien sans faille, sa présence, silencieuse, mais constante que je semble seulement remarquer.

Je suis soudain soulagé, angoissé, heureux, rassuré, effrayé.
Un aveu. Des sentiments réciproques.

Ses mots repassent en boucle dans mon esprit, s'impriment à chaque passage un peu plus profondément. Comme un enfant qui peine à lire en suivant les déliés des lettres avec son doigt, je comprend le son, puis le mot, puis la phrase.
Besoin de toi...
Envie de toi....

Bien sur, une partie de mon esprit, mauvaise,
ricannante mais lucide me susurre ses avis de fiel et de bon sens : elle éprouve la même chose que toi mais jamais ne se livrera. Cet aveu la seule chose que tu obtiendras. Maintenant c'est encore pire, tu réalises pleinement ce qui va t'échapper., ce que tu vas perdre, ce qui aurait pu mais jamais ne sera...

Le bras toujours autour de sa taille, la maintenant serrée contre moi, je me penche en avant.
Pour relever la couverture, au départ.
C'est un hasard si mon visage se retrouve si près du sien.
Un hasard si ses yeux m'hypnotisent.
Un hasard si mes lèvres touchent les siennes.
C'est à cause de la couverture.
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Message  Djaya Sam 30 Mai - 23:47




Cette fois j'ai tout le temps.
J'ai tout le temps de le voir venir et de m'en affoler à l'avance...
Même si l'éclat de ses yeux m'échappe, vu qu'il est penché sur moi, je le sens dans son souffle, je le vois à ses lèvres qui s'entrouvrent, et à son geste qui se fait plus lent, plus doux, comme quand on veut éviter de faire peur à un oiseau tout proche.

Mais je n'ai pas reculé. Pas baissé la tête non plus. Je ne sais pas si c'est un témoignage de courage ou de stupidité. Ou simplement la seule chose à faire. Il se penche, et moi je l'attends, c'est tout. C'est tout... c'est presque impossible à concevoir. Moi, attendre immobile le baiser d'un homme. Et le désirer.

Et cette fois j'ai tout le temps de le goûter, aussi...
Trop de temps pour le goûter...
Ses lèvres sont douces et tièdes, délicates quand elles me rejoignent. Son baiser de tout-à-l'heure était volé. Celui-ci, il me le donne, si lentement, sans insister, un cadeau précieux et fragile, qui se reçoit les mains ouvertes... sauf que ce ne sont pas mes mains qui le reçoivent.
Je ne respire plus vraiment.
Je n'ose pas faire un geste.
Fermer les yeux à demi, c'est tout...
Goûter, en silence...

La chaleur me vient de ses bras et de ses mains chaudes, de tout son corps le mien. De ses lèvres qui restent contre les miennes, qui les caressent et les pressent doucement, à mouvements lents et légers. Mouvements retenus... J'ai connu d'autres baisers qui m'ont fait saigner les lèvres. Il pourrait me faire mal. Je sais qu'il le pourrait. Et ce savoir lance une vrille d'angoisse autour de mon coeur. Pourtant je ne recule toujours pas. Je refuse de reculer, ce moment m'appartient, même si c'est tout ce que j'échangerai jamais avec lui, ça m'appartient. L'angoisse reste, mais la résolution la gomme, et le chagrin. Le chagrin qui me serre la gorge. Et qui remet encore un peu d'eau sur mes joues...

Mon moment... Notre moment.
C'est pas le chagrin pourtant qui me fait entrouvrir les lèvres et répondre aux siennes, timide et gauche, j'y peux rien, j'ai pas l'habitude après tout...
C'est pas le chagrin, c'est l'envie de lui donner quand même un peu de moi. Un morceau pas encore trop déchiré, pas trop souillé, comparé au reste... Ils n'ont pas été nombreux à s'intéresser à cette partie-là de moi, et le dernier en date était trop pressé pour y attacher de l'importance... Et puis ça n'a rien à voir... Rien n'a rien à voir... Tout est différent... Il est différent... Je suis différente...

Au début j'ai du me répéter ça, pour admettre mon geste, briser des années de refus, de précautions, de distance... car il y a un monde entre accepter un baiser et le rendre... entre attendre que ça s'arrête et redouter la fin... entre rester tendue, immobile, et lever la main pour toucher son visage, goûter le contraste entre la soie des lèvres et le contact un peu rude de sa joue. Je me le répétais... et puis j'ai oublié. Oublié...
L'angoisse et le chagrin.
Les ressemblances, les différences et tout ce qui a tout ou rien à voir...
J'ai fini de fermer les yeux, et recommencé à respirer.
Respirer son souffle.

Djaya

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Message  Six Lun 1 Juin - 13:57

Je me rappelle lorsque, jeune mousse, je tentais d'attraper, au sommet du gréement, les impudents goélands qui s'y étaient perchés.
La respiration qu'on tente de contrôler, les gestes lents mais néanmoins fluides, rien de brusque, rien de heurté, avancer, centimètre par centimètre, en équilibre instable, pour ne pas effrayer l'oiseau qui me fixait de son oeil rond et noir.

La même sensation tandis que je découvre sa bouche qui s'offre, que je contemple, les yeux mi clos, ses cils en gros plan, que je goute sa saveur et son souffle, premier mélange électrique de fluides hésitants, dents qui s'agacent et langue timide qui caresse, galante, les lèvres, n'osant s'aventurer plus loin, pas encore.
Je me concentre sur son baiser, le premier qu'elle me donne, vraiment, pas un faux baiser dans une ruelle puante, pas un baiser arraché pour évacuer la tension, non, un baiser lent, offert et reçu, apprécié et savouré.
je me concentre sur son baiser pour faire barrage à l'excitation qui me gagne, son corps chaud contre le mien, contraste brulant avec la brise nocturne, ses seins, nus, appuyés contre ma chemise, inutile rempart mouillé de larmes et de salive, sa caresse étonnée sur ma joue.
Ma main se crispe sur sa taille, comme douée d'une vie propre, étrange prothèse qui soudain me rebute, malgré le crépitement de plaisir qu'elle envoie dans mes nerfs à vif.
mon autre main, la vraie, appuie sur son dos pour la maintenir, la garder contre moi, autant pour la protéger que pour la sentir en totalité.

Jamais je n'ai réussi à attraper un de ces maudits oiseaux de mers. A portée de bras, je précipitais mon geste et il s'envolait dans un mouvement lent et méprisant pour se percher à un mètre plus loin.

Je frissonne, haletant, ému excité par le don abandon.
Je la découvre et je ne peux aller plus loin, sinon elle s'envolera.
Alors, à regrets, ma bouche la quitte, seulement ma bouche, mes bras l'enserrent toujours.
Je recule le visage pour la regarder, graver son visage éclairé, ses yeux brillants, ce léger essoufflement qui agite sa poitrine.

Je devrais dire quelque chose, un truc spirituel, un trait d'humour mais j'ai la gorge trop serrée alors je me contente juste de sourire avant d'enfouir mon visage dans les mèches qui carressent son oreille, soudain inquiet de son regard et du jugement que je pourrais y lire.
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Message  Djaya Lun 1 Juin - 20:18

Je ne savais pas.
Je n'avais jamais imaginé.
Je n'avais pas cru que c'était possible...
Leurs mots étaient démesurés, des poètes et des menteurs, et c'est souvent la même chose...
Ils parlaient d'ivresse et d'exaltation, de bouleversement, et c'est ça, exactement.
Un bouleversement.
Autant de douceur et de tendresse, et un tel écho en moi, le battement lourd et rythmé de mon sang, l'envie irrésistible que ça ne cesse jamais, l'impression de parler sans mots, de donner sans un geste, le besoin de donner encore, tant de choses à donner, tellement que ça m'étouffe, que ça m'étrangle...

Il s'éloigne à peine.
Je rouvre les yeux, c'est comme de s'éveiller d'un rêve magnifique et de découvrir qu'il est vrai. Il est loin et proche, son regard me caresse comme ses lèvres me caressaient, son émotion vibre dans son regard et sur ses traits, je la sens, à travers tout son corps, et à travers le mien...

Le moment est bref, son sourire un peu tremblant m'éclaire et me réchauffe, il ne se rend sûrement pas compte du bond que fait mon coeur quand je lui vois ce sourire hésitant, plein d'incertitude et de ravissement... J'ai envie de toucher ses lèvres du bout de mes doigts, de savoir si elles paraissent aussi douces et chaudes que quand elles parlent aux miennes... J'ai plein d'envies étranges qui me traversent... Plein de sensations troublantes, qui me font palpiter, savoir que la couverture a glissé de mes épaules, qu'elles doivent être blanches dans la lueur de la lune et qu'il les voit, savoir aussi que son coeur bat vite, je le sens contre moi, sentir ses bras qui continuent à me serrer et vouloir qu'ils me serrent plus fort... J'ai la tête qui tourne...

Il cache son visage dans mon cou, et moi je referme ma main sur sa nuque, plonge les doigts dans ses cheveux sombres. Je fixe la lune derrière lui, en face, sans faillir, alors que son haleine chaude me balaie la gorge, que son front vient se nicher dans mes cheveux. Je souris. Je me suis déjà cachée comme ça dans son cou, quand j'avais peur et que je me sentais faible, à l'auberge, je me souviens... Que craint-il ?

Et là le chagrin me rattrape et je ferme les yeux, fort.
Moi je sais ce qu'il a à craindre.
Je sais ce que moi, je crains...

Qu'il me couche maintenant sur le pont de la jonque et il mourra sans doute.
Qu'il ne le fasse pas, qu'il renonce, qu'il s'éloigne, et c'est moi qui en crèverai.
C'était stupide et idiot et c'était une erreur de bout en bout, je le savais...
Je le savais, mais j'ai pas pu m'empêcher...
Je le savais que j'étais une fille cassée, inutilisable.
Et même si il a dit ce qu'il pense, et je le crois, si il tient à moi comme il le dit, il ne pourra rien y faire. Alors il finira par passer à autre chose. Parce que les hommes ont besoin de ça. Et que ça, je ne peux pas le lui donner.

Je prends ma décision, trop tard de plusieurs semaines, je la prends ici, serrée dans ses bras, noyée dans la chaleur de son corps, lovée dans sa tendresse.
Dès notre retour à Aster Damné, je filerai. Vite et loin.
Parce que je ne supporterai pas de le voir sourire comme ça à une autre.

Aussi vite trouvé, aussi vite perdu.
Les larmes reviennent, silencieuses, toujours.
Je serre mon bras contre son dos, ma main dans ses cheveux, je presse ma joue contre son épaule, et je murmure...

Juste un peu, encore un peu, s'il te plaît...

Serre-moi, ne me lâche pas encore.
Pas encore...

Djaya

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Message  Six Mer 3 Juin - 18:28

Et alors que la nuit tendrement agonit, nous restons là, naufragés accrochés l'un à l'autre, étonnés de ne pas nous être noyés, étonnés de flotter, bercés par les vagues.

La nuit doucement meurt et nous restons enlacés, écoutant le chant des voiles et de la coque, tantôt silencieux et timides, tantôt souriant, pour soi même, tantôt s'observant à la dérobée, inquiets, rassurés, inquiets de nouveau...
On n'ose plus s'embrasser, parce qu'on n'ose plus, on ne sait plus, parce qu'on préfère savourer le souvenir comme on suçote une mangue plutôt que de risquer de détruire par un mauvais geste la magie de l'instant.

Alors on parle, des phrases courtes, illogiques, des simples constatations sur les étoiles ou la brise, des brides de confidences, des souvenirs communs qu'on enjolive et qu'on se fabrique à deux : "te rappelles tu lorsque...."

La nuit accouche, lentement, de l'aube et on guette avec appréhension les premiers grincements de hamac, les premiers raclements de pieds sur le plancher, signes du changement de quart proche.

Alors on se désenlacera, peut être, gauches et transis. Nos doigts seront les derniers à se lâcher et on se tiendra, debout et immobile, les yeux sur la blancheur du ciel à l'est, en nous demandant avec angoisse comment on va gérer cette nouvelle intimité, est-ce que ça se reproduira, va-t-elle me fuir, me rejoindre sur le pont ce soir, est-ce que les autres vont se douter, est-ce qu'elle m'aime ?
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