Souvenirs à demi-Maux

D’une main délicate j’effleure la charpente de la Jonque. Hécate radieuse illumine de ses rayons l’océan qui s’érige sous mes yeux. J’avance à l’avant de la Jonque comme pour mieux contempler l’horizon sentant le bois craquer sous mes pieds nus caressant sa surface. Une légère brise marine caresse ma peau. Mes mains tremblent et pourtant je n’ai pas froid. Une larme coule le long de ma joue jusqu’à atteindre les commissures de mes lèvres… Je l’essuie du revers de la main.

Que t’arrive t-il Kalys. Contrôle toi. Que penseraient les Danseurs s’ils te voyaient ainsi. Ils te poseraient des questions et que leur répondrais tu ? Une poussière dans l’œil, la brise marine… Rien de très crédible. Et pourtant cette larme…

Les yeux dans le vague, je m’échappe soudain de mon enveloppe corporelle. Mon esprit vagabonde je reviens dans cette foret alors que j’avais tout fait pour la quitter. Je ressens à nouveau cette douleur au niveau du bras. Une profonde entaille laissant couler ce sang chaud le long de mon bras. Pourtant ce n’est pas cette blessure qui m’inquiète, ce n’est pas la fraîcheur des lieux ni même l’angoisse qu’ils me procurent. Non … C’est autre chose… Je dois m’enfuir avant qu’il ne soit trop tard. Avant de revivre…De revivre…

Je reprends ma course, longeant à présent un cours d’eau . J’ai peur, si peur… Je ne peux me retourner, effrayée à l’idée de le voir derrière moi. De revoir ce visage…Ma poitrine me fait mal, mon cœur s’emballe, le souffle me manque. J’entends ces cris, cette voix… Les sons deviennent de plus en plus clairs, un vent froid parcours mon corps. Je sais qu’il me cherche, qu’il approche, qu’il sera furieux… Je ne peux pas, je ne veux pas revivre… Je ferme les yeux, les larmes coulant à flots sur mon visage…

Kalys…Reprend toi bon sang.
Mon regard se pose à nouveau sur l’océan….Reprenant peu à peu le contrôle de moi-même. Je n’avais plus pleuré jusqu’à ce jour…

Mes mains trahissent ma peur. La peur de ce passé refaisant surface. Et pourtant tout est encore si flou, me complaisant dans cette amnésie lorsque je suis arrivée sur Lonedonne.

Je n’espérais qu’une chose. Que mes souvenirs se manifestent le plus tardivement possible au vu des premiers ressentis que me procurent ces brèves de souvenirs.

Je respirais profondément , observant l’horizon de longues minutes avant que mon cœur ne se décide enfin à se calmer. Je retournais alors dans ma cabine avant que ma colocataire ne se rende compte de mon départ…

Il est là, je sens sa présence… J’entends ses pas…J’ai mal…Il approche…Je préfère mourir que de revivre ça… Les branches craquent sous ses pas… Je sens sa respiration haletante… ne respire plus kalys… Il va vouloir te refaire vivre ça… tu vas revoir son visage… son sourire lorsqu’il te regardait… Lorsqu’il… Je tremble… Mon sang coule toujours le long de mon bras… J’ai pas mal… Je veux fuir… Je veux le …Le tuer… Le tuer pour tout ce qu’il a fait…Pour lui…Moi je m’en remettrais… Je m’en remettrais ?… Mais lui…Je reste cachée… Il s’arrête…Il est …Là…Il lui a fait tant de mal… Je veux voir son sang… Pourquoi lui avoir fait ça… Pourquoi…Je veux lire la peur dans ses yeux… Mon…Frère.

Je bondis de ma cachette… l’attrape par la gorge… Le sang coule le long de ma lame… Celle que j’avais emportée… avant de fuir…

Son corps est étendu à terre. Je tremble. Il me voit… nue… il peut bien puisque c’ est ainsi qu’il m’a laissée. Il a des spasmes. Je reste debout. Pas question de m’abaisser, de me mettre à genoux.

Regarde… Est-ce que tu vois dans mes yeux…
Est-ce que tu vois vraiment qui je suis. Vois tu cette enfant que tu as recueillis lorsque ses parents sont morts. Vois tu cette petite fille que tu as humiliée. Celle qui devait se pavaner sous tes yeux perfides. Celles qui devaient t’obéir. Celle que tu as frappée. Celle que tu as attaché il y a une semaine afin qu’elle puisse assister à la mort de son propre frère… Celle que tu as laissé hurler de désespoir. Mon souffle s’est arrêté en même temps que celui de mon frère.
Est-ce que tu vois la femme que je suis devenue. Celle qui te souris maintenant en voyant la peur se noyer dans ton regard. C’est la fin

La fin de tout ça…

J’ai tué un homme… cette pensée m’oppresse…C’était pas un homme… C’était un sadique, un pervers, un connard qui a tué mon frère et qui m‘a … C’était pas un homme.

Je cours.
Le vent marin caresse ma peau.
Mes yeux se noient dans l’océan.
J’ai envie de mourir. Rien ne pourra réparer ce qu’il a fait.
Je ferme les yeux.
Respire profondément.
Mon couteau glisse de ma paume.
J’avance… la mer est froide.
Une larme roule le long de ma joue.
Je n’ai pas peur.
Je ne suis plus rien…
Je ne suis plus cette enfant qu’il a…

L’océan caresse ma peau.
Cette enfant est morte à jamais.

Je sursaute…
L’océan n’est plus là…
Je suis trempée, sanglotant encore… Ce rêve… à nouveau mais plus précis. Plus… réel. Ce passé qui a refait surface me laissant haletante dans ce lit. Ce passé que j’avais oublié et qui m’est revenu si violemment en mémoire.

Je me lève même si je sens que la force me manque. Je cours comme je peux le long des couloirs de La Jonque. Je veux la voir…

Mes pieds frôlent le pont. Je m’agrippe à l’avant du pont. Elle est là… La mer. Cet océan … Je comprend pourquoi je l’ai tellement aimé lorsque Six m’a amenée à Amster. Passé refoulé et pourtant déjà complice. Mes yeux à nouveau ce noient dans cette étendue majestueuse. Cette étendue dans laquelle je me suis laissée porter… Porter jusque Lonedonne… Impossible. Cette partie est encore floue. Je me souviens juste avoir fermée les yeux, me laissant porter par les vagues. Je me sentais si bien à ce moment là… redécouvrant ce sentiment de bien être enfoui au fin fond de ma mémoire.

Un passé redouté qui revient. Il fallait que ça arrive. J’avais déjà vécue les prémisses de ces maux qui reviennent. Je suis cette… Non je suis Kalys. Cette femme qui a débarquée sur Lonedonne. Cette femme qui navigue à bord de la Jonque. Celle qui est entourée d’une nouvelle famille. Celle qui doit aller de l’avant.

Le passé n’est plus… Je suis Kalys.