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En sylphelin, le mot "mère" n'existe pas. [ouvert]

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Message  Youtcha Lun 24 Aoû - 11:47

Tout est là.
Tout est inscrit dans l'air qui fraîchit, dans le cri des oiseaux qui virevoltent au-dessus du mât lorsque nous approchons des côtes, dans le chant du vent qui devient plus aigu et plus sifflant, dans la teinte que le soleil prend à son couchant, la hâte qu'il met désormais à décroître et la paresse qu'il montre de se lever.
L'automne arrive. Et même en mer, privés du spectacle de la végétation qui prend ses couleurs d'or et d'incarnat, nous le ressentons. Et l'accueillons, différemment.
Pour moi, je sais ce que signifie sa venue. J'ai commencé à compter les jours dès le premier matin où j'ai senti les poils de mes avant-bras se hérisser en repoussant ma couverture, surpris par cette soudaine fraîcheur. Deux semaines sont passées depuis, et je sais désormais qu'inlassablement, comme chaque année, ce jour approche, cet anniversaire macabre que je suis pourtant obligée de fêter, à ma façon. Pourtant personne ne me l'impose. Seulement moi, et ce mélange de nostalgie, de regrets parfois, et de tristesse innommable, écrasante, trop pour que je l'empêche de revenir encore et encore, chaque année.
Et comme à chaque fois, j'espère m'être trompée dans mes calculs, j'espère que le ciel et la taille de la lune me diront que je suis trop en avance, et que j'ai encore un répit avant d'y aller, pendant lequel je pourrais peut-être changer d'avis et dissoudre cette chape de désespoir. Malheureusement, le seul message que me délivre le ciel nocturne est que le premier quartier y brille, blafard, et que dans deux jours, je devrais être là-bas, sur cette dalle aménagée dans un ultime espoir que, si quelqu'un est au courant, il me pardonne.

Deux jours. J'aurais le temps de gagner la rive en chaloupe, nous n'en sommes pas très loin, quatre heures à souquer et je toucherai terre. De là, je rejoindrai LoneDonne, ou ce qu'il en reste, après le raffut que la Rébellion y a mis et la couche que les Dieux ont rajoutée par-dessus. Les rues sont peut-être désertes ? La capitale devenue une ville au décor apocalyptique ? Tant mieux, comme ça, personne ne viendra me chercher des noises. J'y étais quand nous avons fait sauter le temple, il faudrait mieux rester discrète...J'en suis presque à espérer débarquer dans un port D'Aster transformé et jonché de cadavres. Enfin, nous verrons. Du moment que la dalle, elle, est encore entière...

Je traverse le pont à grands enjambées, toutefois légères. Je ne veux pas que l'on me voie. Mettre une chaloupe à la mer au beau milieu de la nuit, habillée de sombre, un petit paquet dans les mains, dieu sait ce qu'un membre de l'équipage pourrait croire s'il me voyait de derrière une caisse. Mais non, je ne m'en vais pas. Six avait l'intention de faire escale sur une île qu'on peut facilement gagner depuis la terre si l'on dispose d'une barque, puisqu'un bras de mer coupe la péninsule que forme le port et retourne se baigner dans l'océan quelques centaines de mètres plus loin. J'emprunterai donc ce canal qui sépare la terre en deux, couperai le fromage, atteindrai à nouveau l'océan et de là, rejoindrai l'île - et l'équipage- qui ne sera qu'à deux heures de rames. J'ai laissé un mot pressé qui signalait que je m'absentais une petite semaine. Ils ne s'inquièteront pas.
Le cordage qui permet la descente de la barque sur l'eau grince un peu. La petite coque de bois frappe les vaguelettes comme un jeune cheval qui piaffe, fringant et impatient de prendre le galop. Je me glisse dedans, silencieusement, largue les amarres et commence à souquer en direction de la rive. La fraîcheur de la nuit engourdit mes doigts serrés sur les rames, mais je n'ai pas pensé à prendre des gants. Je ne me suis pas trompée, l'automne est bien là.

Je regarde la Jonque se réduire doucement, se fondre dans la nuit à mesure que je me fonds dans la mienne. Elle me manque déjà, c'est étrange. L'équipage me manque déjà. Le bois qui grince et nous porte à longueur de journée me manque déjà. Les voiles qui claquent, le rhum qui réchauffe et les cordages qui sifflent...Peut-être est-ce pour ça que cette année, le départ a été plus dur. Parce que les danseurs étaient là, et que, secrètement, j'avais peut-être espéré que quelqu'un serait là pour me demander où j'allais, même si je n'aurais pas répondu, ou peut-être que si, que je me serais confiée, qu'il ou elle m'aurait accompagnée là-bas et qu'ensemble, nous aurions déposé le petit paquet calé entre mes pieds sur la dalle de ciment gravée. Oui, j'avais dû espéré un peu trop fort, et c'est pour cela qu'en plus de mes mains qui s'engourdissent, j'ai une nappe de brouillard glacé dans la poitrine. C'est vrai, je l'avoue. J'aurais aimé que quelqu'un me tienne la main, maintenant, et me regarde souquer, en silence, avec un regard qui réchauffe le cœur.
Youtcha
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Message  Six Lun 24 Aoû - 22:12

D'abord, ça a été la rage.
Lorsque, dans mon sommeil, j'ai entendu le bruit d'une chaloupe qu'on mettait à l'eau.
Ce sont les bruits des rames battant les flots qui m'ont complètement tiré du sommeil.
Quelqu'un quittait la jonque. A bord d'une chaloupe.
Qui osait ?
Probablement un de nos invités qui se rend compte qu'il ne supporte pas le roulis.
Je me sors du hamac d'un bond, enfile un pantalon et me rue sur le pont.

Une chaloupe s'éloigne, elle est déjà à une cinquantaine de mètres mais avance lentement. Probablement quelqu'un qui n'est pas habitué aux rames ou quelqu'un de peu musclé. La nuit sans lune m'empêche de distinguer de qui il s'agit.

Toujours en colère, je dévale l'écoutille, fonce dans la cabine de l'équipage.
Grommellement endormis, grognements contrariés, je n'en ai cure.
je tire les couvertures, scrute les visages.
Quel est le fils de pute qui a osé me voler une chaloupe.

Ensuite la surprise.
Ils sont tous là. Tous sauf elle. Ma petite danseuse au collier de diamants... C'est elle, la chaloupe.

Puis la douleur.
Pourquoi est elle partie ? Pourquoi nous a-t-elle quitté ?
Des silhouettes commencent à se dresser, des questions hésitantes fusent.
Je ne m'en occupe pas, je ne réfléchis pas.
En une seconde je suis sur le pont.
Une autre seconde , d'hésitation. Prendre la seconde chaloupe ? Et laiser l'équipage sans moyen de se sauver en cas de problème ? Impossible.
Coup d'oeil sur la chaloupe et les reflets d'argent que laissent les rames en heurtant les vagues.
100 mètres environ... 150 tout au plus...
Jouable...
Je plonge.
Dieu qu'elle est froide... Ca va être plus dur que prévu. Heureusement que la mer est calme.
Calme, oui, mais les courants de la passe sont traitres. Et l'eau est glacée. je fatigue vite. trop vite. Mais je me rapproche de la barque.

Une main sur le plat bord, une autre. Je l'entend crier.
Bien fait si je lui ai fait peur.
Je me hisse, frigorifié, me tourne vers elle.
Mais pourquoi ces larmes sur son visage ?
Six
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Message  Youtcha Lun 24 Aoû - 23:15

Je n'aurais pas pensé que c'était si dur, de ramer en pleine nuit avec la Jonque qui rapetisse au loin, même si la mer n'est pas agitée, et que la nuit est sans nuages. Je calque les mouvements de mes bras sur le ressac incessant des flots, en espérant qu'ils parviendront à faire de même que la mer, aller, venir, régulièrement, efficacement, toujours et sans faiblir. Mais la douleur commence à poindre dans mes avant-bras, en même temps qu'une faiblesse tente de leur faire abandonner la partie. J'ignore la première et frappe la seconde. Je tire encore plus, force, fait avancer cette maudite chaloupe. Je ne vise pas la vitesse, juste l'efficacité. Rien ne presse. Simplement être hors de vue lorsque le jour poindra.

Mais la vue de la Desdichada qui, à mon goût, tarde vraiment à diminuer, mine le peu de forces que je veux concentrer dans mes bras. Je fais donc volte-face sur le banc central de la barque, et recommence à ramer, dans l'autre sens, en avant. Cela a pour effet de ménager mes bras, d'ailleurs. Peut-être que, dès que la jonque sera hors de vue, je changerai à nouveau de position. Ainsi je gagnerai la rive sans encombres, j'espère. Mais le temps est calme et la mer d'huile. Tout ira bien.

Puis d'un coup, la déferlante, la chaloupe qui tangue, la surprise, une bonne quantité d'eau qui envahit le plancher, la peur soudaine, et l'effarement.
Merde.
Six. En chair et en os, et en eau. Trempé de toutes parts, les traits brouillés, la nuit rendant encore plus difficile la distinction de son visage, mais je sais que c'est lui, c'est tellement évident.
Les pensées, durant l'espace d'une seconde, explosent dans ma tête avec la force d'un taureau en pleine charge.
Six est là.
Le capitaine.
Mon capitaine.
Il va me tuer.
J'ai besoin de quelqu'un.
Mais qu'est-ce qu'il fait là.
Merci d'être venu.
J'ai failli te tuer.
Il va attraper la mort.
Il faut que je rentre.
Il faut qu'il rentre.
Ne pars pas.
Ne sois pas déçu.
Va-t-en retourne au chaud dans ta cabine.
Reste Pars Engueule-moi Ne pose pas de questions Demande moi Ne fais rien Ne bouge pas Crie Tais-toi

Je reste figée sur le banc, les rames m'ont échappé mais par chance, elles ne sont pas tombées à l'eau et sont restées dans leurs anneaux d'attache. Puis, je me lève, doucement. Je me souviens de ce qui arrive quand on se lève trop vite dans une barque, oui Djaya, je m'en rappelle...Je ne sais que faire. Je suis navrée de le voir détrempé comme un naufragé, navrée de ces tremblements de froid qui secouent sa poitrine, navrée de l'eau qui semblent ruisseler de chacun de ses pores.

Je coasse :


-T'aurais pu te noyer...

Ce ne sont pas des larmes, Six. Je ne pleure pas, c'est de l'eau de mer.
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Message  Six Mar 25 Aoû - 12:18

Je la regarde, incapable de prononcer un mot.
Incompréhension, surprise, déception, douleur.
Mais pourquoi ?
Et mes dents qui claquent à m'en faire péter les mâchoires.

Une inspiration, pour maitriser ses muscles qui tremblent.

Pou..sse ....toi.

Un seul moyen de me réchauffer. Ramer. M'agiter. Même si mes membres sont fatigués.

Je m'installe sur le banc. Je ne peux pas lui parler, pas encore, je suis désemparé. Mais plus en colère.

Il doit y avoir une couverture dans ce coffre, là, sous ton banc...

J'attrape les avirons. Et je commence à ramer.
A m'éloigner de la Jonque.
Puisqu'elle veut nous quitter...
Au bout de quelques mouvements, je trouve un rythme idéal, pas très rapide compte tenu de ma fatigue mais régulier. Je suis plus calme, seule la tristesse demeure.
Impression d'un collier de métal rouillé autour de la gorge.

Elle se retourne vers moi, la couverture dans les mains.

Alors qu'elle me la tend d'un geste hésitant, je trouve la force :
Pourquoi ?
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Message  Youtcha Mar 25 Aoû - 13:54

La nuit n'était pas assez profonde pour dissimuler son désarroi. C'est horrible, je voudrais que pour une fois, elle soit opaque, impénétrable, ne plus voir ses yeux qui ne comprennent pas, son corps qui tremble... J'ai l'impression que nous sommes deux êtres de glace, l'un autant bouleversé que l'autre, ne pouvant proférer un mot, attendant que le temps qui passe se charge de faire voler, d'un mot bien choisi, cette gaine en éclats. Jamais, JAMAIS je n'aurais pensé pouvoir supporter un tel regard, surtout de la part de Six. Mais je suis si figée que je ne peux détourner le mien...Pourquoi ? Oui, pourquoi n'as-tu pas lu le mot que je vous avais laissé bien en évidence sur la rampe de la volée de marches qui montent sur le pont, endroit par lequel n'importe quel membre de l'équipage est obligé de passer, qu'il veuille monter ou descendre dans les cabines...? Tu crois que c'est dans quel but que je l'ai laissé à l'endroit qui voit passer le plus de monde en vingt-quatre heures ? Que j'ai allumé exprès une bougie dans une coupelle au-dessus pour que même de nuit, on ne passe pas à côté sans le voir ?

" Je dois retourner à terre, j'ai une affaire à mener là-bas. Je vous rejoindrai dans une petite semaine à l'Île de la rade. Désolée de ce départ inopiné, mais je préfère voyager de nuit. Youtcha."

C'était clair, pourtant, non ? A quoi bon paver d'explications, de formules de politesse et de "ne vous en faites pas" un tel message alors que mon absence ne durera, au pire, que sept jours environ ? Je n'ai pas menti, je ne vous quitte pas.

Mais toi, tu ne l'a pas lu, capitaine.
Ou mal interprété. Sinon, pourquoi cette attitude ?
J'ai simplement envie de te dire de ne pas t'en faire, que tout ira bien. Ce n'est qu'une visite à un très, très vieil ami...un ami de poussière. Un ami jamais connu. Un être qui aurait été tout pour moi.

Je lui ai tendu la couverture. Elle est épaisse et d'une couleur que l'obscurité m'empêche de définir. J'ignore s'il voulait s'en servir pour lui ou moi, mais quoi qu'il arrive, c'est à lui que je la donne, et je l'obligerai à la prendre si nécessaire.


- Tu n'as pas vu le mot que je vous ai laissé ?
Il ne fallait pas t'inquiéter...Pas comme ça...Dans une semaine, je serais revenue...
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Message  Six Mer 26 Aoû - 11:48

Je rame et déjà mes épaules me lancent.
J'arriverai jusqu'à la rive, il n'y a pas de souci, mais j'y arriverai fatigué.
L'effort m'a réchauffé. J'ote de mes épaules la couverture et le lui tend.

Tu es trempée.

Mais de quel mot parle-t-elle ?
Je réfléchis...Il me semble en effet avoir vu une bougie allumée, ça m'avait étonné mais j'étais tellement pressé de trouver qui était parti que je n'y ai pas fait attention plus que ça.
Et quand bien même...

Un mot ?
Pourquoi ne nous as tu rien dit ? Ne m'as tu rien dit ?

Je me rend compte que ma voix est dure.
Trop.
Je l'adoucis.
Quand je me suis rendu compte que tu étais partie... Ca m'a fait peur. Et mal.
Même si maintenant, je suis rassuré de savoir que ce n'est que temporaire

Un soupçon de doute dans la voix, malgré tout.
Je ne demande pas l'objet de cette expédition. Pas encore.
je continue de ramer, en la regardant.
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Message  Youtcha Mer 26 Aoû - 15:48

Gagné. Il me tend la couverture. J'en veux pas, merci, mais je n'ai pas froid. Et je ne suis pas trempée. Ce n'est pas moi qui ai tapé un cent mètres en crawl dans une mer plutôt fraîche... Il me paraissait évident qu'elle serait pour lui. Alors j'attrape par un pli le tas de tissu qu'il tient à bout de bras, pour mieux la lui remettre, grossièrement étalée sur ses genoux. Je ne suis pas sa mère, non plus, je n'irai pas le border...Non, il est mon capitaine. D'ailleurs, là, à l'instant, je me fous qu'il le soit. Je ne veux pas de cette couverture que je vois comme une couche supplémentaire de honte à étaler par-dessus celle déjà présente de l'avoir mis en danger. Quand je l'ai rencontré, nous n'étions pas un capitaine et un matelot mais deux munuréens bavardant à un comptoir. Pourquoi cela changerait-il ? Je le respecte, c'est vrai, mais parce que je l'aime, et non parce qu'il est le propriétaire de la Jonque...Si je ne pouvais pas le saquer, je ne serais pas membre de son équipage. Donc je n'aurais pas à le respecter. CQFD.

C'est pourquoi je reste raide comme une planche de bois posée à la verticale sur son banc, les bras le long du corps, et non refermés sur mon torse, comme ce serait le cas si j'avais froid. En vérité, je suis trop occupée à penser pour m'octroyer le luxe de ressentir la moindre sensation physique...

Ses paroles me glacent. Oui, pourquoi ne lui en ai-je pas parlé ? Pour beaucoup de choses. Peut-être trop pour prendre le risque de m'aventurer à l'expliquer. Mais tout d'abord, et surtout, je ne veux pas qu'il soit ni blessé, ni déçu, ni triste...C'est d'abord ces sentiments-là que je dois éradiquer d'abord. Ensuite, peut-être, viendront les explications.

J'ouvre la bouche, hésite, cherche mes mots. Ma voix semble ténue, et mes mots flotter dans l'obscurité qui nous sépare. Je me demande s'il les entendra ou si la nuit les retiendra prisonniers. J'ai l'impression de parler dans le vide.


- Tu DOIS être rassuré. Ne t'en fais pas. Si je n'ai rien dit, c'est parce que je me serais sentie obligée de fournir des explications. Je sais que je t'en dois une, enfin je crois. Alors je te le dis, je dois être à terre, plus précisément à LoneDonne, dans deux jours. J'ai quelque chose à faire là-bas. Chaque année, j'y retourne. Cela ne prendra pas beaucoup de temps.

J'ignore toujours s'il me voit. S'il comprend. Ce qu'il pense.


- Tu comprends ? Je préférais ne rien dire, ne pas éveiller de curiosité. C'est comme si je montrais, je ne sais pas, un bout de mon cœur ou de mon âme, si c'était possible. J'avais besoin d'être seule. Ce voyage est très important pour moi.

Tu comptes ramer jusqu'où comme ça ?
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Message  Six Sam 29 Aoû - 12:20

Je rame.
Et je rumine.
Ses explications.

Ca se tient, oui. Sauf que, quand même.

Pensais tu donc vraiment que je t'aurais soumise à un interrogatoire ? Que je ne t'aurais pas fait suffisamment confiance pour te laisser libre une semaine ?

Et pourquoi me montrer un bout de ton âme serait si terrible ?, Mais ça, je ne le dis pas.
Je ne répond pas à sa dernière question. Je rame, concentré sur le mouvement régulier et coordonné, en essayant de m'abstraire de la douleur.

Je tente de ne pas imaginer ce qui peut la pousser à aller seule à Lonedonne à cette période troublée. Je tente de ne pas imaginer le pire. Souvenir d'une conversation au bar et de bleu électrique...

Jusqu'à Aster.
Je vais t'amener à Aster.
Et t'y attendre.


Deux coups de rames.

Même si ça ne me rassure absolument pas de te laisser aller seule à Lonedonne.

Deux autres.
Je préférerais t'accompagner. Mais je ne t'obligerai pas. Si tu as besoin de solitude, je comprends. C'est juste une requête....
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Message  Youtcha Sam 29 Aoû - 16:21

Imperturbable, il continue de ramer dans la nuit. La Jonque est hors de vue, à présent, une nappe de brouillard inattendue a contribué à la soustraire à notre regard en plus de la distance. Un coup de rame, une parole, un coup de rame...En cadence, il m'explique ses doutes. Ses inquiétudes. Ses projets. Je tressaille à chaque fois que le bois frappe l'eau et en perturbe le flot. C'est comme s'il appuyait à chaque avancée de la chaloupe, ce qu'il veut, c'est à dire m'accompagner jusqu'au port, et même au-delà.

Il ne m'oblige à rien, il ne veut pas s'imposer...Mais je connais cette voix-là. je connais le sens caché de ses paroles...Il ne serait sans doute pas très joyeux si je refusais qu'il m'accompagne. D'un côté, après ce semblant de fuite, un peu plus, un peu moins...

Mais je me reprends, réfléchis rapidement, en silence, pendant que Six conduit toujours résolument la chaloupe en avant. C'est vrai qu'il n'y a même pas trente minutes, je désirais en secret que quelqu'un se joigne à moi. Cependant, entre ce que je veux, et ce que je fais...il y a un écart. C'est minable, c'est faible. Je croise les doigts pour que quelque chose arrive et je ne suis pas foutue d'en assumer les conséquences lorsque finalement, cela se produit...Enfin...

Je note que ça me ferait mal pour lui, si je devais ensuite le forcer à retourner en rames sur la Jonque, si je ne voulais pas de lui à mes côtés. Et puis, en fait...c'est presque évident...je ne sais pas pourquoi je m'efforce de trouver une parade...


- D'accord...Je veux bien, de toute façon, tu ne vas pas te farcir le trajet deux fois en plus...

Et j'ajoute, dans une vaine tentative :

- Mais l'équipage ? Il ne sait même pas que tu es parti...
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Message  Six Lun 31 Aoû - 22:26

Je n'ai pas besoin de me retourner, je sais que la terre est proche
Une dizaine de coups d'avirons, maxi.
Un marin sent ces choses là. odeur de terre ferme, bruit différents des rames sur l'eau.

Alors je parle vite, pour qu'elle me réponde avant qu'on accoste :

Tu veux bien ? Que je t'accompagne ?
Je veux l'entendre de sa bouche...

Merde, l'équipage.... Je n'ai même pas prévenu Djaya dans ma précipitation...

Je vais laisser un mot. Dans la barque.

Du charbon, du bois flotté plus ou moins plat... Ca devrait faire l'affaire.

Plus d'objection ?

J'entend la quille riper sur le fond. Nous voilà à Aster....
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Message  Youtcha Lun 31 Aoû - 23:50

C'était étrange, comme sensation. Face à la Jonque depuis que c'était Six qui avait repris les rames, j'avais l'impression que notre traversée ne s'achèverait jamais...que nous allions passer des heures et des heures dans un espace multiplié encore et encore, mêmes sons, mêmes odeurs, même vaguelettes qui s'écrasaient, curieuses, contre la coque de la chaloupe, même étoiles qui traçaient dans le ciel d'encre leurs symboles éthérés...Seule la Jonque avait disparu, témoignant de notre progression. Nous aurions pu être en pleine mer comme à une demi-douzaine d'encablures du port, que pour moi, ç'aurait été la même chose. Face au large, n'ayant pas possession des rames, je ne sentais pas le niveau de l'eau baisser, la pression diminuer sur les guides de bois, j'étais perdue dans l'univers marin, une coquille de noix déposée au hasard sur l'étendue de l'Océan.

Et puis, la rive était là, d'un coup. Les sons, les lumières, tout m'est revenu, d'un coup, comme un flash, une grande claque, lumineuse, terrible. J'avais l'impression d'avoir quitté la terre il y avait une paire d'heure seulement. Je le ressentais jusque dans les phrases hachées, précipitées, de Six. Je le ressentais dans mes propres mots qui se faisaient plus concis et vides de sentiments. Je le ressentais dans le vide béant creusé dans ma réponse, qui aurait dû être comblé de gratitude. Mais non. L'air d'Aster Damné, ma ville natale, module cette unique phrase.

- Oui, je t'ai dit oui...

Aucune sécheresse dans ma voix. Comment l'aurais-je pu, d'ailleurs ? Je n'ai qu'une envie, c'est de le remercier, de m'excuser, de rougir, et, c'est triste à dire, mais de jouer la pauvre petite chose contrite, maladroite mais heureuse en réalité que quelqu'un l'accompagne, quitte à paraître niaise et à l'énerver à l'inonder ainsi de bons sentiments... Au moins, cela aurait été...habituel. Moins déconcertant que mon acceptation spontanée. Et tellement plus simple...Trop simple, après tout, rien n'est simple dans une vie, encore moins quand les sentiments s'en mêlent. A ce niveau-là, cela devient un fatras épouvantable où il ne vaut mieux pas essayer de montrer ce qu'on a au fond du cœur, tant que ce n'est pas insupportable à garder pour soi, tant que ça ne jaillit pas tel un geyser impossible à canaliser. Et ce n'est pas le moment de l'étalage, Six...

La barque racle sagement le fond aménagé du port, comme un écolier qui rente en classe après de longs mois de vacances, appréhendant sa venue ici, alors que je secoue la tête de droite à gauche en direction de mon capitaine. Plus d'objections.

Nous sortons de la chaloupe. Je le laisse à ses affaires, rédiger le mot explicatif dont il vient de me parler. J'ai juste attrapé le petit paquet que j'ai tenu entre mes chevilles pendant toute la traversée, et suis sortie sur le quai, posant pour la première fois depuis longtemps, mon pied sur la terre ferme. Je me retourne vers Six. Le marin, l'homme marié à la mer. Sur ce terrain-là, il n'est plus le même, il n'est plus le maître. J'espère que le changement ne lui causera pas de soucis... Voir Six sur terre me donne le sentiment de voir un lion en cage, de l'eau courante emprisonnée dans une fontaine au moyen de canaux...

Nous grimpons les minces escaliers de pierre qui mènent du quai jusqu'à la ville d'Aster. L'odeur n'a pas changé. Il n'y a pas un rat, à l'orée de cette forêt de murs...Enfin, si, des rats, j'en entend grouiller dans un recoin, où je devine une poubelle qui frémit doucement, un filet de mayonnaise nauséabond dégoulinant de son couvercle. C'est fou comme de petits détails insignifiants peuvent vous paraître immondes quand vous les avez oubliés pendant quelques mois... Je me tourne vers Six.


- Il y a, à quelques minutes d'ici, un endroit propre où nous pouvons dormir. Pour manger, si tu peux attendre demain matin, les rues grouilleront de commerces mais à trois heures du matin, les seuls auberges ouvertes sont carrément douteuses. Je te propose de rester là pour la nuit, et de rejoindre LoneDonne dès demain matin...Si ça te va.

Je ne saurais expliquer l'impression que cela me fait, d'exposer mes plans à Six, de le renseigner sur une ville que je connais comme ma poche, sûrement mieux que lui ( qui pourtant, est loin d'être ignorant en matière de port ) pour y avoir passé une grande partie de mon enfance. J'espère qu'il voudra bien de moi comme guide...
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Message  Six Sam 5 Sep - 9:08

C'est toujours la même chose, les premiers moments sur la terre ferme.
Lorsqu'on arrive, la première chose à faire, c'est de s'assurer du départ.
Soit par les amarres, soit, comme ici, en tirant la chaloupe sur le sable, au delà de la zone des marées.
On arrive et on pense à repartir.

Quelques pas sur le sable mouillé, le mal de terre contre lequel on lutte, un sol désespérément immobile alors que notre cervelet s'est habitué depuis des mois au tangage continuel.
Un dernier regard vers la silhouette de la jonque que je devine plus que ne vois.

Je ramasse un morceau de bois, ancienne planche rendue douce et lisse par les caresses éternelles des vagues.

Un mot, rapide.
Djaya, ne t'inquiète pas, je suis avec Youtcha, nous allons à Lonedonne, de retour bientôt.
Je sais que c'est Djaya qui sera la première à lire ce mot, c'est une évidence.

Le continent et sa permanence. ici les choses restent : les maisons, les odeurs. Même si ce sont des ruines, mêmes si ce sont des remugles nauséabonds. Tout reste, s'accroche. Pèse.
En mer, tout est changeant, les navires se transforment en épaves, une vague se transforme éternellement.
Il va falloir me réhabituer à tout ça.

Je te fais confiance. Je te suis.

Qu'est-ce qui peut pousser la petite à accomplir ce voyage?
Je regarde autour de moi? Tout à un air d'abandon. De mort...

Je m'étire, fais rouler mes épaules pour soulager les contractures.
j'attrape un paquetage . Je suis prêt.
Six
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Message  Youtcha Dim 6 Sep - 18:29

La nuit est épaisse et âcre. Le étoiles ne vont pourtant pas tarder à aller se recoucher, mais l'atmosphère de la ville me donne cette impression constante de marcher à travers un rideau granuleux et désagréable. Cela provient peut-être de tout ce temps passé en mer, loin des côtes et de leur pollution. Nous les pirates, sommes sans doute hypersensibles à de telles variations d'air...

Je marche à grands pas, dans un silence quasi-total. Six, aux jambes longues comme pas loin de deux fois les miennes, ne doit pas avoir de mal à me suivre, du moins je l'espère, car je ne lui prête, pendant quelques minutes, pas la moindre attention. Mon cerveau brasse dans mes souvenirs, tentant d'en extirper le renseignement dont j'ai besoin. Vais-je retrouver le chemin...? Je l'emprunte chaque année, de nuit, mais à chacun de mes passages j'éprouve le même doute, celui de me perdre, celui que la maison ait été rasée ou victime des caprices du temps... Et puis tout compte fait, après être passée par un état de nervosité apparente et d'agitation suprême, examiné différentes ruelles et cul-de-sacs, fouillé dans les plus profonds de mes souvenirs, dans mon instinct même, les yeux fermés afin de mieux s'ouvrir à tout ce qui voudrait me revenir en mémoire...je me détends. Le chemin s'est ouvert devant moi, je suis certaine que c'est là. Je tourne après un arbre tout maigre entouré d'une clôture aux mailles tordues, sûrement le seul végétal de plus d'un mètre cinquante à des kilomètres à la ronde, longe une façade, m'enfonce au cœur d'un pâté de maison, peine sous la brusque montée que forme la rue, et entraîne Six toujours plus profondément dans l'obscurité d'Aster Damné le terrier, aux yeux-fenêtres encore tout collés de sommeil. Sauf que je sais exactement où je vais. Si mon pas est sûr est rapide, c'est car je suis certaine de ma destination, c'est gravé, c'est évident.

Et puis je ralentis, au bout de dix minutes après être arrivée au sommet de la côte. Nous avons stoppé devant une maison comme les autres, toute simple, simplement un peu plus décrépie. Si on regarde bien, on peut voir les bords d'un nid d'oiseau de taille imposante, dépasser de la bouche de la cheminée, sur le toit. La maison est abandonnée, à première vue. Je me retourne vers Six.

- Voilà, la balade est bientôt achevée... je sais, quand on parle de promenade nocturne, ce n'est pas vraiment ça qu'on s'imagine, mais attends de voir la suite avant de trouver ça misérable...

Surtout que année après année, l'état de la demeure n'a pas dû s'arranger. A moins que quelqu'un d'autre ait élu domicile dans cette bicoque. Quoi que j'en doute, d'après la présence du nid.
La porte est fermée à clef, évidemment. Je sais que ce n'est même pas la peine de tenter de l'ouvrir, de rentrer dans le battant ou d'en forcer la serrure. Non, aucun tour de force, je soulève simplement le paillasson raidi par le temps et la croûte de poussière qui s'est amoncelée dessus, et en retire une clef que je frotte brièvement sur ma manche. J'ai l'impression que Six me regarde d'une drôle de façon. C'était si simple, et si évident...Si loin de tout ce à quoi on pourrait s'attendre dans une expédition de ce genre...

La porte grince, peine, il faut forcer, mais elle finit par s'ouvrir. Je me dirige tout droit dans le hall, plongé dans l'obscurité totale. Mais je connais cette pièce, je sais où sont les obstacles. Quelques instants plus tard, une lampe à pétrole brille faiblement dans ma main.


- Oui, je sais, ça fait longtemps que l'électricité a déserté cette baraque...Le décor y est sommaire, mais le confort, au moins, y est meilleur que sur les quais.

Je hausse les épaules et invite Six, incrédule et debout dans l'embrasure de la porte, à rentrer.

- Allez rentre, bienvenue chez moi, capitaine.
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Message  Six Lun 14 Sep - 19:21

Je la suis, dans cet Aster Damné que je connais si bien et que chaque fois je découvre.
Je reconnais vaguement le quartier, mais me perds rapidement dans le lacis des ruelles.

Je ne dis rien, ne pose pas de questions mais je commence à m'interroger.
Où va-t-elle ? Et que sais-je d'elle ?
Cette petite sylph en qui j'ai tout de suite vu une Danseuse ?
Une rencontre comme une évidence, un collier comme un lien.
Mais est-ce que je la connais vraiment ? D'où elle vient, pourquoi elle a accepté mon offre ?

Une maison, une masure, comme il y en a tant dans les faubourgs du port.
On apprend tant d'une maison.. Leur façade comme un visage, leur intérieur comme leur âme. Ce qu'on montre et ce qu'on tait. Ce qu'on juge essentiel et ce qui est du détail.
Et dans chaque fissure, comme des rides, l'histoire des espoirs déçus et des désirs bafoués.


Allez rentre, bienvenue chez moi, capitaine.

Chez elle ?
Je cache mon étonnement en pénétrant rapidement dans la maison, des questions plein la tête.
Chez elle ? Sa famille ? Elle habite Aster ? Seule ?
Je me jure d'avoir les réponses durant ce voyage.

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Message  Youtcha Sam 19 Sep - 22:59

La lueur terne de la lampe à pétrole semble réveiller de vieux échos qui pointent timidement le bout de leur nez hors du terrier du temps passé. De petits détails apparaissent sous le faible éclat, témoignant de l'état véritable de la demeure, pendant que je m'avance en évitant le fouillis présent, franchit le seuil d'une porte grande ouverte et passe du hall au salon. Les murs sont décrépis. La bourre du fauteuil sort par poignées du revêtement filé qui la recouvre. Une table bancale, qui porte les marques de dizaines et de dizaines de fonds de casseroles brûlants déposés sur la toile cirée cloquée sans le moindre soin, semble trôner dans sa misère, pièce suprême et touche finale de la laideur de la pièce.

Je me tourne vers Six en espérant qu'il ne regrette pas son choix de m'avoir accompagnée. Il me semble que ce n'est pas le cas, mais dans ses yeux, c'est du doute que je lis. Je lui dois des réponses. C'est vrai, après tout, il n'a fait que me suivre, hors de son élément qu'est la mer, poisson rouge hors du bocal. Redonnons-lui un peu de la saveur de l'eau salée, pour qu'il ne suffoque pas...

Je dépose la lampe à pétrole sur la table, place judicieuse car elle éclaire depuis son emplacement la quasi-totalité de la pièce. Je me laisse tomber sur le fauteuil. Mes fesses prennent exactement la forme du creux moulé dans la matelassure, comme si un être ayant exactement la même morphologie que moi avait passé des années sans bouger au fond de ces coussins. Sous mon poids pourtant léger, un petit nuage de poussière se soulève. J'invite Six à prendre place sur la canapé qui me fait face. Pas de chichis dans une construction qui ne porte de "maison" que le nom...

Une araignée s'affaire dans un coin de mur, en face de moi, au-dessus du canapé de Six. J'espère que ces sympathiques bestioles ne le dérangent pas. Moi, je les ai toujours bien aimées. Rita, par exemple. Celle qui habitait dans le clocher dans lequel je créchais à Robe Inwoude. Comme ça paraît loin...


- Bon, voilà...Je te présente l'endroit où j'ai habité jusqu'à mes quinze ans ! Évidemment, plus personne ne vis ici, heureusement, car sinon je ne serais jamais revenue chez "papa-maman"...


Je dessine des guillemets imaginaire de part et d'autres de mon visage, en l'air.

-D'ailleurs, tu es assis sur une des cachettes où ils planquaient la coke qu'ils revendaient ensuite. Moi, mon boulot, c'était d'aller la chercher.
Il y a des choses qui sont beaucoup plus faciles à faire, à voler, dirons-nous, quand tu es une gamine naïve et si petite que personne ne prête jamais attention à toi.



Je me lève et marche vers une fenêtre.

- C'est pas qu'on y verra plus clair, mais je ne supporte pas cette odeur de renfermé.

Et je commence à forcer sur la vieille fenêtre coincée.
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Message  Six Dim 27 Sep - 18:53

J'enregistre les détails de cet intérieur tout en l'écoutant.
Le papier peint déchiré aux motifs quasi disparus, rongés par le sel de l'air. Les coups dans le mur, comme des traces d'objets lancés dans un moment de colère. les lattes disjointes du plancher.
Un intérieur qu'on a jamais voulu douillet. Juste fonctionnel.
Pas un endroit où devrait grandir une gamine.
Pas l'endroit où devrait vivre une ado.
Et pourtant, malgré l'abandon, il y a un embryon de vie familiale, qui, fantôme solitaire, flotte encore.
Qui demeure dans les ressorts assoupis du siège
dans une subtile odeur d'épices et de pâtisserie.
Une planque de petits dealers. Une maison où vivait une famille. Deux images superposées avec comme unique axe de symétrie, la petite sylpheline aux éclats bleus devant moi. Ma danseuse.

Je me lève pour l'aider.
Je sens ses ailes me frôler tandis que je tends mes bras. Enlacement sans contact. Protection distante.
L'espagnolette cède dans un craquement sec, libérant la fenêtre qui s'ouvre d'un coup, laissant entrer les effluves lourdes du port.
J'en profite.
Que mes bras l'encerclent et l'empêchent de se retourner.
L'empêchent de fuir.
Pour poser la question :
Tes parents ? Où sont-ils maintenant ?
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